Janvier 2017 : la rose de la cathédrale de Soissons cède aux vents de la tempête Egon. Les dégâts sont spectaculaires. Près de cinq ans plus tard, c’est le chantier unique d’une reconstruction à l’identique qui se termine.
Le chantier de l’actuelle cathédrale de Soissons débute vers 1175, dans le grand élan qui concerne alors Ile-de-France et Picardie. Peu de temps avant que la façade occidentale ne s’achève, vers 1250, l’un des temps forts du chantier est marqué, aux alentours de 1240, par la construction de la grande rose. Malmenée par les turbulences historiques, elle semblait pourtant immuable dans le paysage urbain… jusqu’au 12 janvier 2017. Ce soir-là, la tempête Egon s’engouffre depuis l’ouest jusqu’à la façade gothique. Soudain, les remplages cèdent.
Concilier restauration et technique de haut niveau
Une fois passée la sidération face à l’importance des dégâts, vient très vite le temps des réflexions… Une étude complète de diagnostic préalable est alors financée par les services de la Conservation régionale des monuments historiques de la Drac Hauts-de-France. Dirigée par l’agence Olivier Weets, l’équipe est composée d’architectes, ingénieurs, historiens, restaurateurs de vitrail et économistes de la construction.
Après 14 mois de relevés et d’analyses en laboratoires, l’étude conduite par l’architecte en chef des Monuments historiques démontre que la reconstruction intégrale des remplages, en pierre neuve et à l’identique, constitue la meilleure solution technique capable d’assurer la pérennité de l’ouvrage. Ce choix fait du chantier soissonnais une expérience unique.
Matériaux hétérogènes
Au démarrage des études, grâce au remontage à blanc des remplages dans la nef, l’emploi antérieur de matériaux hétérogènes pour chaque composante de la structure est confirmé. Différentes pierres mises en œuvre (Laversine, Crouy, Saint-Pierre-Aigle), différents métaux et sections pour les goujons (fer, laiton, cuivre – carrés ou ronds) ainsi que différentes natures de joints (mortier au sable-chaux, hydraulique type ciment Portland, plomb) indiquent ainsi que les précédents travaux de restauration ont été partiels et limités à des reprises en sous-œuvre.
Dès lors, le projet est guidé par un souhait de rationalité et de pérennité. En effet, si la rose de la cathédrale a cédé, c’est bien parce qu’elle présentait des faiblesses structurelles, résultant de restaurations anciennes, notamment après 1918, faites de bric et de broc. Il est donc décidé d’accroître la raideur des assemblages en prolongeant la profondeur d’ancrage des goujons de 5 centimètres de part et d’autre du plan de joint.
Une rose très déformée
Des relevés lasergrammétriques antérieurs à janvier 2017 mettent en évidence que la structure de la rose présente diverses déformations d’ampleur : une ovalisation par écrasement de l’œil central et de la moitié supérieure des remplages de l’ordre de 20 centimètres, un écartement dans l’axe vertical de la structure (rendant la lancette axiale supérieure plus large que toutes les autres), ainsi que la formation d’un faux-aplomb vers l’intérieur de l’édifice de l’ordre de 7 centimètres.
Ainsi, l’étude de diagnostic préalable révèle que, lorsque la rose est frappée par la tempête, celle-ci se trouve dans un état limite d’équilibre. Les relevés réalisés par l’architecte permettent d’identifier une grande hétérogénéité de dimensions des éléments de remplage, les colonnettes présentant des longueurs très variables.
Restaurer ou reconstruire
Très vite donc, la maîtrise d’ouvrage exprime la volonté de restaurer la rose à l’identique, en privilégiant le réemploi des matériaux d’origine. L’étude de diagnostic démontre toutefois qu’il n’est pas envisageable de conserver les remplages anciens. En effet, la remise en œuvre de ces éléments, si fragilisés mécaniquement d’une part et si hétérogènes d’autre part, conduirait inévitablement à un nouvel accident si la rose était soumise à des contraintes similaires à celles de la tempête Egon. En effet, les claveaux, remplacés en 1931, étaient déjà fracturés.
À la suite de ces analyses, la restauration devient reconstruction, avec notamment une toute nouvelle structure en pierre, identique à la précédente ou presque. L’épaisseur accrue de quelques centimètres des remplages permet d’améliorer l’inertie de la structure d’environ 42 % sans porter atteinte au rapport entre les « vides » et les « pleins » qui, à Soissons, confère une grande légèreté visuelle à l’ensemble.
À la demande de l’agence Olivier Weets, un répertoire complet des 34 types de pierres de nature différente mises en œuvre sur la cathédrale est établi par le Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH). Seules cinq roches dites « dures » présentent des caractéristiques pétrophysiques répondant aux exigences du chantier. Le choix se restreint encore… puisque qu’une seule pierre, la roche dure de la Croix Huyart banc H4, est encore en exploitation aujourd’hui à Bonneuil-en-Valois (Oise).
Le parti de restauration proposé par l’agence Olivier Weets confirme donc le souhait initial d’utiliser une pierre locale dans la reconstruction des remplages, selon leur configuration du XIIIe siècle.
Des vitraux préservés
L’une des surprises a été de constater que seuls 10 % des vitraux étaient détruits. Ceux réalisés par Jean Gaudin dans les années 1930 ont fait l’objet d’un minutieux travail de dépose, sécurisation, inventaire, identification, tri, diagnostic d’état sanitaire et conservation. Ce ne sont pas moins de 90 % des panneaux qui ont pu être sauvés en vue de leur remise en œuvre. Ce qui n’a pas été sans difficultés puisque les vitraux avaient été réalisés pour une rose déformée…
Il a été décidé de restaurer et de replacer au sein de la nouvelle rose les vitraux avec une adaptation minutieuse des panneaux à la nouvelle géométrie des lancettes. L’ensemble de la serrurerie a été remplacé à neuf avec l’emploi de fer pur.
L’augmentation de la section des pierres du remplage neuf a permis d’intégrer dans les lancettes des panneaux de doublage extérieur constitué d’un verre thermoformé réalisé à partir de l’empreinte des réseaux de plomb des vitraux restaurés. Cette attention permettra ainsi d’assurer une conservation préventive des vitraux contre les agressions climatiques.
Un chantier partagé avec les habitants
Avant de procéder au remontage des remplages sur la façade occidentale, la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage ont souhaité marquer cet évènement par la présentation de la nouvelle rose au grand public. Les vitraux de l’œil central représentant le Christ en gloire ainsi que les nouveaux remplages ont été montés à blanc et exposés dans la nef de la cathédrale en mai. Ce moment a permis de valoriser le travail des différents intervenants impliqués sur ce chantier.
Plus tôt, les Journées européennes du patrimoine 2019 ont permis à un public très nombreux de rencontrer les tailleurs de pierre qui réalisaient alors les nouveaux remplages. Plus récemment, en octobre dernier, à l’occasion des Journées nationales de l’architecture, un public ému a eu la chance, rare, de gravir l’immense échafaudage afin de se retrouver nez-à-nez avec la rose, d’écouter les témoignages de tous ceux qui ont travaillé sur ce chantier exceptionnel.
S’il est exceptionnel de par ses choix techniques, le chantier l’a également été par les émotions qu’il a engendrées et par la volonté affirmée de partager cette aventure avec le plus grand nombre. Sur le plan technique, le chantier de la rose de Soissons est d’ores et déjà considéré comme un modèle à suivre.