Mobilisant ensemble 100 000 acteurs en France, les 7 associations nationales du patrimoine1, reconnues d’utilité publique, se sont réunies pour édicter un manifeste pour la protection du patrimoine. Ce dernier a été envoyé le 11 mars à l’ensemble des candidats à l’élection présidentielle.
Dans un premier temps, le manifeste rappelle les trois valeurs fortes qui donnent un sens aux actions du G7 Patrimoine.
1) Le patrimoine est un modèle de développement durable.
Les logiques constructives et les matériaux issus du sol qu’elles mettent en œuvre sont économes, naturellement recyclables et ont un bilan carbone négligeable. L’amour du patrimoine est un engagement dans la durée. Les maisons et les jardins appellent des soins continus ; la défense des paysages respecte l’équilibre de la planète tandis que la conservation et la protection du bâti ancien préservent ses ressources. Préserver, restaurer, réutiliser et consommer avec justesse sont les maitres mots du modèle patrimonial.
« Protéger le patrimoine, c’est agir pour le développement durable. »
2) Le patrimoine est un lien entre les peuples et les générations.
Paysager ou bâti, remarquable ou plus simple, réputé ou local, monumental ou mobilier, tangible ou immatériel, le patrimoine est un bien commun. Il rassemble2 et il rassure. Il donne aux lieux un esprit, aux peuples un enracinement, aux jeunes une éducation artistique et culturelle et aux plus passionnés une vocation. Pour tous, il crée une responsabilité : transmettre aux générations futures l’héritage reçu des générations passées et y apporter sa propre pierre.
« Protéger le patrimoine, c’est pour chaque génération s’engager. »
3) Le patrimoine est un actif vivant et une source d’épanouissement.
Tout patrimoine a été façonné par l’homme. Derrière chaque pierre se trouve une main. Préserver ou conserver ont un sens : offrir le spectacle de la beauté, inspirer les créations, forger des vocations, transmettre des savoir-faire. Les monuments historiques, les paysages et le patrimoine bâti ancien contribuent à l’activité et à l’attractivité des territoires. Ils constituent un élément indispensable à la vie collective et à l’épanouissement de chacun d’entre nous. Pour protéger ce bien précieux, les populations ont le droit et le devoir de faire entendre leur voix et de s’impliquer librement.
« Protéger le patrimoine, c’est transmettre une exigence de vie. »
Ces trois valeurs fortes rappelées, le manifeste énonce, dans un deuxième temps, trois priorités pour l’avenir :
- priorité n°1 : une gouvernance renouvelée pour mieux protéger le patrimoine ;
- priorité n° 2 : des décisions fortes pour protéger effectivement le patrimoine ;
- priorité n° 3 : des moyens adaptés pour protéger le patrimoine dans la durée.
Dans ce premier édito, nous détaillons la première priorité.
Trois initiatives sont attendues en termes de gouvernance : renforcer la protection juridique du patrimoine en lui conférant une valeur constitutionnelle, redonner vie aux consultations de la société civile, en amont et en aval des choix politiques, et restaurer la plénitude du droit de recours des associations pour faire respecter les lois de protection.
Engagement n° 1 : renforcer la protection juridique du patrimoine
Éclatée entre plusieurs ministères et partagée dans son exécution avec les collectivités territoriales, la politique patrimoniale souffre à l’évidence de ne pas s’inscrire dans une vision d’ensemble. Dans ce contexte et faute d’un dispositif juridique suffisamment fort, la protection du patrimoine s’est affaiblie au cours des dernières années.
En France, les patrimoines bâtis et paysagers sont protégés par des lois distinctes (1913 et 1930 notamment), intégrées respectivement dans le code du patrimoine et le code de l’environnement, mais ils n’ont pas été reconnus à ce jour comme étant un élément essentiel de l’environnement, à valeur constitutionnelle. La Charte de l’environnement (2005) indique (art. 6) que « les politiques publiques doivent promouvoir le développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » On est loin de la vision d’ensemble adoptée en Italie dès la loi de 1902 et confirmée dans la constitution de 1947 : « La République protège le paysage et le patrimoine historique et artistique de la Nation. »
Les associations du patrimoine estiment indispensable qu’une même consécration puisse prévaloir dans notre pays et, pour ce faire, que dans le bloc de constitutionnalité la protection du patrimoine rejoigne celle de l’environnement, dont elle est inséparable par nature.
Le G7 Patrimoine demande que la Charte de l’Environnement, intégrée dans la norme constitutionnelle depuis 2005, soit complétée pour y consacrer la dimension patrimoniale. D’ores et déjà, une loi organique pourrait décliner cette charte, s’agissant du patrimoine. En associant ainsi la défense et la mise en valeur du patrimoine bâti et paysager dans la promotion du développement durable, une telle déclinaison contribuerait à conférer une valeur constitutionnelle à la protection du patrimoine.
Les associations du patrimoine demandent que la protection du patrimoine, ainsi rétablie dans son autorité, soit érigée parmi les priorités du quinquennat. Pour ce faire, une loi de programme du patrimoine bâti et paysager définira une politique globale du patrimoine pour le quinquennat et associera les moyens budgétaires aux objectifs retenus. Les architectes des Bâtiments de France (ABF), dotés des moyens nécessaires à leur action, retrouveront le pouvoir d’autorisation qui était le leur avant l’intervention de la loi Elan (en particulier pour tout projet de démolition dans une zone patrimoniale ou de redélimitations des abords des monuments historiques).
Les associations du patrimoine constatent que la protection des sites et des paysages doit être renforcée. Or la responsabilité de cette protection tend à être diluée dans une structure ministérielle dont les priorités vont à l’énergie, au logement ou aux infrastructures d’équipement et de transport. Elles demandent que l’administration des sites, classés et inscrits, soit réunie avec celle qui est en charge du patrimoine protégé. Cette unité d’action, conforme à la pratique de l’Italie, rejoindra la vision de l’Unesco pour le classement au titre du patrimoine mondial.
Engagement n° 2 : associer aux décisions la société civile
La France s’est engagée, en ratifiant en 2002 la convention d’Aarhus adoptée sous l’égide de l’ONU en Europe le 25 juin 1998, à faire participer le public aux débats relatifs à son cadre de vie. À cette occasion, elle a reconnu le rôle des associations en tant que représentantes de la société civile organisée.
Elle ne l’a pourtant pas encore fait pour la Convention de Faro sur la valeur du patrimoine culturel pour la société, adoptée le 13 octobre 2005 sous l’égide du Conseil de l’Europe. Les associations du patrimoine demandent que la ratification de la Convention de Faro intervienne sans délai.
D’une manière générale, le G7 Patrimoine entend que l’on donne mieux et plus la parole aux citoyens en s’appuyant sur les associations qui portent leurs opinions et leurs propositions. L’expression de la société civile organisée ne saurait être négligée, et encore moins délibérément contournée.
Les associations du patrimoine demandent que leur groupe soit représenté au Conseil économique, social et environnemental, ainsi qu’au sein de ses déclinaisons dans tous les territoires.
Elles escomptent que leur voix, certes parfois critique mais toujours canalisatrice, soit désormais mieux écoutée et entendue. Or, dans la pratique récente, celle des implantations des éoliennes par exemple, les commissions auxquelles les représentants de la société civile participent sont trop souvent consultées quand tout est décidé ou que rien ne changera plus. Nous demandons que le fonctionnement de ces structures consultatives contribue à nourrir le dialogue civil, en amont et en aval des choix politiques : pour ce faire, la présidence des commissions échoira obligatoirement à une personnalité indépendante issue de la société civile.
De la même manière, il nous paraît nécessaire de s’inspirer des règles de fonctionnement des Commissions régionales du patrimoine et de l’architecture pour réformer les Commissions départementales de la nature, des paysages et des sites, qui continuent à être présidées par un membre du corps préfectoral, et dont la composition peut donner prise à des conflits d’intérêt.
Engagement n° 3 : restaurer le droit de recours des associations
Le G7 Patrimoine considère comme essentiel le droit pour les associations d’ester en justice en vue de faire respecter la législation protectrice des patrimoines naturels et bâtis. Si les contentieux se multiplient sur certains sujets, il faut en rechercher les causes dans les excès des politiques qui sont menées et non essayer d’en étouffer les effets, en interdisant aux associations d’exercer un droit fondamental.
Alors que les associations servent un intérêt collectif qui, dans le domaine du patrimoine, rejoint le bien commun, leurs actions se heurtent aux obstacles que des textes récents ont mis sur leur route (loi Macron du 6 août 2015, loi Élan du 23 novembre 2018, décret Rugy du 29 novembre 2018, loi ASAP du 7 décembre 2020).
Les associations du patrimoine demandent que soient levés tous ces obstacles légaux ou règlementaires qui ont marqué autant d’atteintes au droit d’agir pour faire respecter la protection du patrimoine et des paysages3. Par exemple, la présence de représentants des exploitants des éoliennes au sein des formations des sites et paysages chargées de l’examen des demandes d’autorisations environnementales.
Elles demandent que les démolitions de constructions illégales puissent intervenir partout, et pas seulement dans certaines zones protégées. Dès lors que le permis de construire d’un parc éolien est annulé, le site devra être intégralement remis en état.
Les populations et les associations sont souvent mises devant le fait accompli. Elles ne doivent pas en subir les conséquences dans leur droit constitutionnel d’ester en justice.
Le G7 patrimoine demande que les associations déclarées moins d’un an avant l’opération d’urbanisme qu’elles entendent contester soient recevables à le faire4.
Il demande que l’institution d’un nouveau référé « protection du patrimoine et des paysages5 » qui, à l’instar du référé liberté, devra être tranché sous 48 heures par la justice administrative. L’initiative de ce référé, dont le caractère solennel et exceptionnel devra être sauvegardé, sera réservée aux associations agrées au niveau national au titre de l’article L 141-1 du code de l’environnement. Celles-ci seront réputées avoir intérêt à agir.
Priorité n° 1 : Une gouvernance renouvelée pour mieux protéger le patrimoine
Priorité n° 2 : Des décisions fortes pour protéger effectivement le patrimoine
Priorité n° 3 : Des moyens adaptés pour protéger le patrimoine dans la durée
1 Le G7 patrimoine :
La Demeure historique. Association nationale fondée en 1924, reconnue d’utilité publique en 1965. Comptant 3 000 adhérents, propriétaires gestionnaires, elle se consacre à la sauvegarde du patrimoine historique privé. Les 3 000 monuments et jardins protégés qu’elle accompagne et conseille accueillent chaque année 9 millions de visiteurs.
Maisons paysannes de France. Association nationale créée en 1965, reconnue d’utilité publique en 1985. Comptant 7 000 adhérents, elle œuvre à la préservation du patrimoine culturel rural et des paysages ruraux en accompagnant, par le partage de son savoir-faire, la restauration du bâti ancien non protégé. Son centre de formation au bâti ancien, certifié qualiopi, propose un programme adaptable à la demande des acteurs du patrimoine.
Patrimoine-Environnement. Fédération nationale née en 2013 de la fusion de la Ligue urbaine et rurale (1928) et de la FNASSEM (1967). Reconnue d’utilité publique en 2013 et agréée pour la protection de l’environnement. Regroupant 200 associations et 600 membres, elle représente 40 000 adhérents indirects (hors membres du G7). Elle se consacre à la défense juridique du patrimoine et à la sauvegarde du patrimoine de proximité.
Sauvegarde de l’Art français. Née en 1921 sous forme d’association nationale, reconnue d’utilité publique en 1925 et transformée en fondation en 2019, elle se consacre à la sauvegarde du patrimoine religieux (églises et chapelles rurales notamment) ainsi qu’à la restauration des œuvres d’art du patrimoine français.
Sites & Monuments (SPPEF). Association nationale créée en 1901, reconnue d’utilité publique en 1936 et agréée pour la protection de l’environnement. Elle mène devant les tribunaux, les enceintes politiques et médiatiques, le combat pour la préservation du patrimoine naturel, bâti et mobilier.
Union Rempart. Union nationale d’associations locales et régionales. Créée en 1966, reconnue d’utilité publique en 1982. Réunissant près de 200 associations, 10 000 citoyens engagés, 4 000 bénévoles et 20 000 jeunes scolaires, elle promeut la sauvegarde et la transmission du patrimoine par l’éducation populaire.
VMF Patrimoine (Vieilles maisons françaises). Association nationale fondée en 1958, reconnue d’utilité publique en 1961. Comptant 17 000 adhérents propriétaires ou passionnés, elle se mobilise pour faire connaître, sauvegarder et mettre en valeur le patrimoine bâti et paysager.
2 Comme le démontrent le succès des Journées européennes du patrimoine ou l’émotion partagée dans le monde entier lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris.
3 Par exemple, la présence de représentants des exploitants des éoliennes au sein des formations des sites et paysages chargées de l’examen des demandes d’autorisations environnementales.
4 Cette question sera prochainement examinée par le Conseil constitutionnel saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité.
5 Visant notamment les décisions du code du patrimoine, les décisions du code de l’urbanisme avec avis de l’ABF ou celles relatives aux sites protégés.