Mobilisant ensemble 100 000 acteurs en France, les 7 associations nationales du patrimoine, reconnues d’utilité publique, se sont réunies pour édicter un manifeste pour la protection du patrimoine. Ce dernier a été envoyé le 11 mars à l’ensemble des candidats à l’élection présidentielle.
Le manifeste énonce trois priorités. Après la première – une gouvernance renouvelée pour mieux protéger le patrimoine –, détaillée dans le précédent édito, voici la seconde : des décisions fortes pour protéger effectivement le patrimoine.
Trois décisions sont attendues pour démontrer un renforcement réel de la protection du patrimoine : un moratoire national éolien de deux ans afin de permettre à la transition écologique de repartir sur des bases solides ; un inventaire systématique du patrimoine pour étendre sa préservation ; une politique ambitieuse d’éducation artistique et culturelle pour assurer la transmission culturelle.
Engagement n° 4 : Décréter un moratoire national de l’éolien d’une durée de deux ans en vue de refonder la transition écologique
Économiser l’énergie, un objectif auquel le patrimoine contribue, est une priorité autant que la renouveler car une énergie sobre et pilotable est source de moindre cout pour les paysages, le patrimoine et l’environnement. Le développement des énergies renouvelables, soutenu par le G7 Patrimoine, est pourtant contesté, sinon menacé, par la méthode aujourd’hui mise en œuvre pour les parcs éoliens.
Des projets rejetés par l’ensemble des collectivités intéressées, voire par le commissaire-enquêteur lui-même, ont été imposés aux populations, tandis que des décisions de justice imposant des démantèlements restent non exécutées. Les consultations récemment menées, dans le cadre posé par la loi Climat et résilience, pour définir les zones propices à l’implantation des éoliennes1 sont conduites sans dévier du résultat à atteindre et, à supposer qu’elles retiennent les interrogations légitimes portées au nom des populations, ne seront pas opposables aux implantations futures.
À l’instar des moratoires locaux votés par certains départements2, le G7 Patrimoine demande un moratoire national de l’éolien d’une durée de deux ans. Deux ans laisseront le temps nécessaire pour mettre à plat la politique des énergies renouvelables et la refonder sur des bases à la fois transparentes et acceptables par les populations.
La première chose que demande le G7 Patrimoine est de reformer les études d’impact pour exiger un « bilan écologique et économique » complet de chaque installation. Ce bilan exhaustif coûts-avantages aura pour objet de mettre en rapport la contribution de l’installation en cause avec l’ensemble de ses coûts. L’intermittence induit en effet des accessoires obligés (installations de relais et dispositifs de stockage, par exemple) qu’il convient d’inclure. De même, la création nécessaire de nouveaux réseaux n’est pas sans conséquences sur les paysages et la biodiversité. Enfin, l’impact sur le bien-être des populations doit être dument chiffré.
Ce bilan doit conduire à reconsidérer l’objectif de porter la puissance installée de 15 GW à 33,2 ou 34,7 GW, que ce soit en 10 ans comme initialement prévu ou sur une période beaucoup plus longue comme semblent le dessiner les déclarations faites par le président de la République, à Belfort, le 10 février 2022. Traduit en nombre de mâts : 14 500 au lieu de 8 000 actuellement, cet objectif revient en effet à « consteller » les paysages de notre pays.
Pour les nouvelles installations et les transformations d’installations existantes qui n’ont plus rien d’expérimental, le temps parait venu au G7 Patrimoine, à l’instar de ce que font de nombreux pays, de supprimer la subvention publique que représente la garantie du prix d’achat du courant électrique éolien. Il est en outre impératif pour toutes les installations de garantir la remise en état des sites, à l’expiration de la période d’exploitation en veillant à un provisionnement intégral du coût qu’elle entraîne3. Le G7 Patrimoine demande la suppression du subventionnement du prix d’achat du kWh éolien et une garantie de provisionnement intégral de la remise en état des sites.
Pour les nouvelles installations et les transformations d’installations existantes, les choix locaux doivent être respectés. Le G7 Patrimoine demande qu’aucune implantation d’éoliennes ne puisse se faire en passant outre l’avis majoritaire des populations concernées et de leurs élus.
Face au gigantisme croissant des éoliennes terrestres qui peuvent dépasser une hauteur de 240 mètres, le G7 Patrimoine considère qu’il est impératif d’exiger une distance proportionnelle avec les habitations et les monuments. À l’instar de ce que pratiquent d’autres pays4, il demande qu’aucune éolienne ne puisse être autorisée si elle n’est pas à une distance d’au moins 10 fois la hauteur des mâts, pales comprises.
De même, il demande que la voix des protecteurs des paysages et du patrimoine protégé soit clairement entendue : pour toute implantation située dans un rayon de 10 kilomètres d’un monument historique ou d’un site protégé́, l’avis conforme de l’ABF ou de la CRPA sera obligatoire.
Il est en outre nécessaire de rétablir le cours normal de la justice en mettant fin au régime d’exception conçu pour l’éolien terrestre. Depuis 2018, ce contentieux n’est porté que devant les cours administratives d’appel. Il est demandé que le double degré de juridiction soit rétabli.
En second lieu, le G7 Patrimoine demande que l’implantation des parcs éoliens en mer soit fortement encadrée afin de se prémunir contre le renouvellement des erreurs constatées avec les parcs éoliens terrestres. Les éoliennes en mer s’imposent, sans l’obstacle d’un relief ni d’un écran végétal, entre un trait de côte fini et un horizon marin infini. Visibles souvent à plus de 70 kilomètres, elles ont un impact très marqué sur le paysage littoral5, un impact d’autant plus fort que les parcs prévus sont plus nombreux et plus gigantesques : 40 GW annoncées à l’horizon 2050 dans le discours de Belfort équivalent en effet à 80 parcs géants offshore. Comme le recommande la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages, la priorité est d’éviter que les parcs éoliens en mer soient proches des côtes, ce qui conduit à privilégier l’éolien flottant à grande distance. Dans tous les cas, il faut observer un équilibre entre la puissance installée, la hauteur des éoliennes et une distance minimale du rivage.
Le contentieux de l’éolien en mer est réservé, depuis 2020, au seul Conseil d’État, ce qui, dans une matière peu consensuelle, prive les justiciables de la possibilité d’exercer pleinement leurs droits de recours. Le G7 Patrimoine demande que ce régime d’exception cesse et que le contentieux de l’éolien en mer soit à nouveau porté devant les premiers degrés de la juridiction administrative.
Enfin, l’ambition affichée pour l’énergie photovoltaïque, portée de 12,4 GW aujourd’hui à 100 GW en 2050, n’est pas sans soulever d’inquiétude de notre part, au vu de l’impact d’ores-et-déjà constaté sur les paysages, le bâti ancien et l’artificialisation des sols. De même que pour l’éolien, le G7 Patrimoine demande l’obligation d’établir un bilan économique et écologique complet de chaque projet photovoltaïque.
Engagement n° 5 : Mieux reconnaitre la valeur du patrimoine de proximité
Contrairement à nos voisins les plus proches, la France ne reconnait guère son patrimoine local. Le patrimoine de proximité est pourtant un facteur d’attractivité des territoires et le support d’un tourisme à moindre empreinte carbone.
Les 45 000 monuments historiques protégés au titre de la loi de 1913, les bâtiments situés dans les abords (loi de 1943), les 800 secteurs protégés regroupés aujourd’hui dans le concept de « site patrimonial remarquable », et les 29 000 labels délivrés par la Fondation du patrimoine ne couvrent en effet qu’une faible part de l’immense patrimoine rural et urbain de notre pays. À titre d’exemple, 1,3 millions de bâtiments sont inscrits au titre du patrimoine historique en Allemagne.
Le G7 Patrimoine demande que la loi fixe l’obligation pour les intercommunalités et les communes en charge des plans locaux d’urbanisme d’inventorier les éléments remarquables, bâtiments anciens et paysages à préserver. Cette obligation qui se substituerait à la simple faculté prévue aujourd’hui, s’impose de manière d’autant plus urgente que de nombreux plans locaux d’urbanisme (PLU et PLUI) sont en cours de révision.
En cohérence avec l’exigence d’un développement durable, le G7 Patrimoine souhaite que les actions de modernisation des logements et de revitalisation des petites villes et des centres de bourg favorisent désormais, de manière organisée, la restauration et le réemploi d’un bâti ancien de qualité, évitant ainsi sa destruction.
Plus systématiquement, le G7 Patrimoine demande l’institution d’un recensement décennal du patrimoine local qu’il appartient ainsi de protéger.
Coordonné par l’État et réalisé sous l’agrément des services de l’inventaire, désormais confié aux régions6, ce recensement régulier des éléments remarquables de notre patrimoine local sera le préalable à la labellisation « patrimoine local remarquable » dont il demande également la création. Cette labellisation doit ouvrir la possibilité d’une aide publique à l’entretien et la restauration du patrimoine qui aura ainsi été identifié.
Engagement n° 6 : Donner une place prééminente à l’éducation artistique et culturelle ainsi qu’à la formation continue aux métiers du bâti ancien
L’accès du plus grand nombre à la culture passe par la mise en œuvre des le jeune âge d’une politique d’éducation artistique et culturelle ambitieuse. C’est un vecteur de transmission autant que d’inclusion et d’insertion.
L’éducation au patrimoine ouvre les jeunes au monde qui les entoure. Cette éducation permet de lire et de mieux comprendre l’histoire à travers les sites et les styles des monuments qui couvrent tout le territoire et qui forment le plus grand « musée vivant » qui soit. Le G7 Patrimoine pense que cet apprentissage doit démarrer des l’école primaire, en l’associant de manière systématique à l’enseignement de l’histoire ; Le G7 regrette que ces actions d’éducation au patrimoine ne soient aujourd’hui initiées que par un nombre trop restreint d’enseignants. Une forte impulsion politique s’impose.
Le G7 Patrimoine demande la systématisation des actions d’éducation au patrimoine au sein des programmes scolaires. Pendant l’année scolaire, toutes les classes primaires auront ainsi à consacrer au moins une demi-journée par mois à la connaissance du patrimoine de proximitéś, monumental, bâti, mobilier ou paysager. Pour toutes les autres classes, il demande un soutien accru de l’éducation artistique et culturelle, pendant et hors du temps scolaire.
L’éducation artistique et culturelle doit pouvoir se poursuivre tout au long de la vie. C’est un objectif sur lequel s’engagent déjà̀ les associations patrimoniales. Pour accompagner leur action, le G7 Patrimoine demande un renforcement des collaborations entre le ministère de la culture et le ministère de l’éducation nationale, notamment pour ce qui est de l’éducation populaire.
Les métiers manuels qui touchent à la restauration du patrimoine et de manière générale, à celle du bâti ancien sont insuffisamment mis en valeur. Il s’agit pourtant de métiers d’excellence qui confinent aux métiers d’art et qui contribuent au rayonnement de notre pays.
Il paraît indispensable aux auteurs de ce manifeste de revaloriser les formations initiales et continues à ces métiers. Seuls un peu plus de 3 % des lycées professionnels7 proposent une formation au Bac pro restauration du bâti ancien ; nous demandons que cette part passe à 10 %. « Nous sommes prêts à mobiliser nos bénévoles pour contribuer à cette transmission des savoirs et des savoir-faire » confirment l’ensemble des associations du G7.
Priorité n° 1 : Une gouvernance renouvelée pour mieux protéger le patrimoine
Priorité n° 2 : Des décisions fortes pour protéger effectivement le patrimoine
Priorité n° 3 : Des moyens adaptés pour protéger le patrimoine dans la durée
1 Instruction ministérielle du 26 mai 2021 relative à la planification et l’instruction des projets éoliens.
2 Par exemple, le département de la Charente-Maritime par délibération du 26 mars 2019, celui de la Vienne par délibération du 17 décembre 2021 ou le département de la Dordogne par délibération du 11 février 2022.
3 Bien qu’ayant marqué un progrès avec l’arrêté du 22 juin 2020, les règles actuelles laissent aux exploitants l’échappatoire d’un bilan environnemental prétendument défavorable pour ne pas excaver et ne garantissent pas de manière irrévocable la couverture financière du démantèlement.
4 En Bavière ou en Pologne par exemple.
5 Dans un avis rendu en juin 2021, la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages souligne : « En s’imposant entre les deux [le trait de côte et l’horizon marin], les éoliennes en mer modifient radicalement la nature et la valeur des paysages ».
6 L’inventaire général, mis en place en 1964, a été transféré aux régions en 2005.
7 27 lycées professionnels sur 806 lycées professionnels publics en 2019.