Mobilisant ensemble 100 000 acteurs en France, les 7 associations nationales du patrimoine, reconnues d’utilité publique, se sont réunies pour édicter un manifeste pour la protection du patrimoine. Ce dernier a été envoyé le 11 mars à l’ensemble des candidats à l’élection présidentielle.
Le manifeste énonce trois priorités. Après 1) Une gouvernance renouvelée pour mieux protéger le patrimoine et 2) Des décisions fortes pour protéger effectivement le patrimoine, détaillées dans les précédents éditos, voici la troisième : des moyens adaptés pour protéger le patrimoine dans la durée.
Le temps du patrimoine n’est pas un temps ordinaire. C’est un temps long, fait d’efforts soutenus : il faut donc préserver un cadre budgétaire stable et accompagner cet effort d’une assistance technique adaptée. Le travail dans le bâti ancien n’est pas un travail ordinaire. Dans ce bâti, relever le défi de la transition énergétique, sans risque pour la pérennité, suppose d’accompagner toute une filière, autant sur le plan technique que financier. Enfin, le modèle économique du patrimoine monumental n’est pas un modèle ordinaire. Projeté sur le temps long, il doit être conforté au quotidien, en même temps que doivent être encouragés les passages de témoin et les relèves.
Engagement n° 7 : Stabiliser les moyens budgétaires sur le temps long, renforcer l’assistance à maitrise d’ouvrage et l’aide à l’entretien
L’entretien et la restauration du patrimoine s’inscrivent dans la durée. Ils exigent des financements réguliers et la préservation des savoir-faire, aussi longs à acquérir (parfois 20 ans) que fragiles et faciles à perdre, en cas de défaillance.
La meilleure manière de préserver le patrimoine reste de l’entretenir régulièrement : les dépenses d’entretien qui sont faites aujourd’hui éviteront de coûteuses restaurations demain. La constance des efforts, en ce domaine plus encore qu’ailleurs, est le gage de leur efficacité.
Dans ce contexte, le G7 Patrimoine accueille positivement l’importante augmentation de l’effort financier de l’État mis en œuvre en faveur du patrimoine au cours des deux dernières années. Le budget du patrimoine dépasse désormais un milliard d’euros en 2021, si l’on inclut les crédits d’urgence et ceux du plan de relance. Mais, c’est un effort ponctuel, là où il faudrait un effort soutenu dans la durée : il serait pour le moins peu responsable de prendre argument du rehaussement conjoncturel qui vient d’intervenir pour réduire la base des crédits d’entretien et de rénovation.
Le G7 Patrimoine demande en conséquence la consolidation du budget du patrimoine au niveau qu’il a atteint aujourd’hui ainsi que sa revalorisation régulière afin de suivre l’évolution du coût des travaux et d’éviter les dommages assurés d’un « stop and go ». De la même manière, il salue la création du Loto du patrimoine – unanimement demandée par nos associations en 2017 – qui a permis de porter à plus de 70 millions d’euros les moyens d’action de la Fondation du patrimoine, ceux-ci étant largement diffusés sur le territoire.
Mais, là encore, il ne s’agit pas de tirer argument des recettes du loto pour porter atteinte à la base des crédits du patrimoine. En complément d’un budget du patrimoine qui reste incontournable, le G7 Patrimoine demande que soit confortée dans la durée l’action du Loto du patrimoine, en privilégiant désormais le patrimoine du monde rural, particulièrement menacé et fort peu aidé, y compris dans l’appel au mécénat, par rapport aux grands opérateurs publics.
Le même constat que pour le patrimoine rural prévaut pour le patrimoine privé qui représente 45 % du patrimoine protégé́ et la très grande majorité́ du patrimoine de proximité mais seulement 10 % des crédits déconcentres destinés au patrimoine monumental. Le manifeste demande que la part du patrimoine privé soit doublée sur la période du quinquennat.
Cependant, dans le domaine du patrimoine, la mise en place de moyens financiers ne suffit pas. Qu’il s’agisse de petites communes ou de propriétaires privés, l’absence d’aide à la maîtrise d’ouvrage est trop souvent un handicap qui bloque la mise en œuvre de financements et entraine une sous-exécution des crédits déconcentrés, paradoxale alors même que l’urgence des travaux reste avérée. Seules quelques Drac ont mis en place un dispositif de soutien.
Le G7 Patrimoine demande la généralisation de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage, condition d’une utilisation rapide et équilibrée des crédits disponibles. Le manifeste martèle que l’insuffisance de l’entretien du patrimoine bâti a pour conséquence différée l’abondance de coûteux chantiers de restauration. Ne pas avoir remplacé les tuiles d’une maison ou d’une église peut entrainer leur ruine en moins de 30 ans. Malgré une récente inflexion, l’action des pouvoirs publics est restée timide en ce domaine. L’exemple des Flandres belges qui ont mené depuis 20 ans une action systématique de diagnostic et d’aide financière pluriannuelle sur les bâtiments publics et privés (« Monumentenwacht ») montre l’efficacité de la démarche. Mieux entretenu, le patrimoine a finalement couté moins cher. Le G7 Patrimoine demande l’engagement d’une politique d’entretien similaire, menée avec la même démarche et la même constance.
Engagement n° 8 : Accompagner la transition énergétique du patrimoine ancien
La mise en œuvre de la transition énergétique et notamment la réduction de la consommation d’énergie est un chantier majeur et complexe pour le patrimoine protégé. Par leur conception et les matériaux qu’elles ont mises en œuvre, les constructions d’avant 1948 sont, pour la plupart d’entre elles, « bioclimatiques ». Confondre celles-ci avec les passoires thermiques des « 30 glorieuses », démontre une profonde méconnaissance d’un bâti antérieur qui vit au contraire avec son environnement.
Mal conçus ou réalisés par des entreprises non au fait des techniques et des matériaux propres au bâti ancien, les travaux rendus nécessaires par la transition écologique peuvent gravement porter atteinte à la valeur patrimoniale, architecturale ou esthétique de ce bâti, notamment lorsqu’ils emprisonnent l’humidité dans les murs. Les matériaux qui conviennent au bâti ancien doivent être « perspirants » : toute autre solution leur est fatale.
Le G7 Patrimoine demande que l’accompagnateur rénovation, prévu par la loi Climat et résilience, soit formé à la rénovation thermique du bâti ancien. De la sorte, ce patrimoine pourra se voir appliquer les règles de l’art qui conviennent à un bâti « bioclimatique » et non celles qui visent uniquement les « passoires thermiques ». Il demande aussi qu’un référent « transition écologique » soit nommé dans chaque Drac. Ce référent sera à même de répondre aux interrogations des maîtres d’ouvrage comme des accompagnateurs rénovation. Le G7 Patrimoine pense nécessaire, à tout le moins, que le ministère de la Culture mette en place des centres de ressources pouvant, notamment en lien avec le Creba1, apporter une expertise concrète aux maîtres d’ouvrage de travaux dans le bâti ancien ainsi que dans le patrimoine du XXe siècle de qualité́.
Le G7 Patrimoine demande de même que des moyens spécifiques (prêts et subventions), complétant sans la réduire, l’enveloppe budgétaire consacrée au patrimoine, soient dédiés à ce type de travaux. Il souhaite enfin qu’il soit officiellement reconnu que réhabiliter le bâti ancien, plutôt que de le détruire, quitte à le réutiliser avec de nouveaux usages, est un moyen efficace, économe des ressources de la planète, pour tendre vers l’objectif légitime d’un Zéro artificialisation nette (ZAN).
Engagement n° 9 : Conforter le modèle économique du patrimoine protégé privé
Le modèle du patrimoine protégé privé, malmené par deux années de pandémie, doit être conforté.
Le dispositif fiscal en place depuis 50 ans a fait la preuve de son efficacité en raison notamment de sa pérennité, qu’il faut continuer à garantir : dans l’ensemble, le patrimoine concerné se trouve dans un meilleur état qu’il y a un demi-siècle et beaucoup d’édifices en grand péril ont pu être sauvés.
De nouvelles dispositions pourraient cependant, par leur impact important, pénaliser le patrimoine protégé. C’est le risque que fait courir la réforme de la taxe foncière (valeurs locatives) qui doit entrer en vigueur en 2026. Un gouvernement précédent a fait voter un article de loi suivant lequel la valeur locative des monuments, base de leur taxe foncière, serait calculée en appliquant à leur valeur vénale un taux de 8 %. Ce taux de rentabilité, inspiré des parcs d’attraction, n’a rien à voir avec la réalité de celui des monuments protégés. Il est acté qu’une simulation en grandeur réelle précède l’entrée en vigueur de cette révision. Nous demandons qu’elle soit effectuée avec le plus grand soin, en toute transparence, de telle sorte que le parlement, informé de l’impact des transferts de charge qui en résulterait, puisse abaisser fortement ce taux et le fixer désormais à bon escient.
La généralisation d’un taux de TVA réduit aurait à l’inverse un effet positif. L’assujettissement à la TVA varie en effet selon les maîtres d’ouvrage. Les collectivités locales la récupèrent intégralement pour tous les travaux par le mécanisme du FCTVA. Le taux de la TVA est ramené à 5,5 % pour toute création artistique. Il serait souhaitable que ce taux réduit de 5,5 % soit appliqué à tous les travaux sur les monuments historiques, qu’ils soient réalisés par un opérateur privé ou public (hors collectivités locales).
La protection du patrimoine mobilier (300 000 objets classés ou inscrits) pourrait être mieux assurée si l’attachement à perpétuelle demeure, qui permet de maintenir sur place les objets protégés mais qui affecte leur valeur, ouvrait droit à un mécanisme de type dation ou donation. Le doublement, intervenu en décembre 2020, des seuils de reconnaissance des trésors nationaux porte atteinte à l’enracinement des ensembles mobiliers historiques : nous demandons la baisse de ces seuils.
La notion d’ouverture au public ne correspond plus aux formes de visite pratiquées aujourd’hui. Elle peut même entrainer des coûts significatifs. Le G7 Patrimoine pense que cette notion doit être adaptée, en tenant compte du rapport établi par les services d’inspection générale des ministères de la Culture et des Finances.
Enfin, la problématique de la transmission et de la sauvegarde ne se pose pas que pour les entreprises. La transmission des monuments historiques privés peine à être assurée : 1 500 monuments historiques privés n’ont pas encore trouvé de repreneurs. « Nous pensons, insiste le G7 Patrimoine, qu’il faut inciter fiscalement à cette transmission en s’inspirant de dispositifs simples et éprouvés, tels ceux qui visent le patrimoine « de long terme (transmission des forêts sous le régime Monichon de l’article 793 du CGI, transmission des entreprises familiales sous le régime du pacte Dutreil). »
Priorité n° 1 : Une gouvernance renouvelée pour mieux protéger le patrimoine
Priorité n° 2 : Des décisions fortes pour protéger effectivement le patrimoine
Priorité n° 3 : Des moyens adaptés pour protéger le patrimoine dans la durée
1 Centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien