Le domaine de Chaumont-sur-Loire est acquis en 1875 par Marie-Charlotte-Constance Say (1857-1943), héritière de la sucrerie Say1, l’année même de son mariage avec le prince Henri-Amédée de Broglie (1849-1917). La princesse entreprend de vastes travaux de transformation, dont les écuries, qui deviennent, dès lors, un éclatant exemple de l’architecture équestre du XIXe siècle.
En cette deuxième moitié du XIXe siècle, le cheval occupe toujours une place prépondérante auprès de l’aristocratie. Cette dernière achète ou élève des chevaux – de selle ou d’attelage – à prix d’or et il n’est rien de plus humiliant que d’être un mauvais cavalier. Pénétrer dans un domaine par les écuries ou prendre le thé dans la sellerie pour admirer le harnachement est une pratique courante, contribuant à asseoir sa place dans la société. Corolaire, les plus fortunés font bâtir des écuries majestueuses, dignes de leur rang.
Comme tous les aristocrates, le prince et la princesse de Broglie font donc construire des écuries qui se doivent « d’être les plus somptueuses et les plus modernes d’Europe ». Les travaux sont confiés à Paul-Ernest Sanson (1836-1918), célèbre architecte qui érigera, en 1892, les magnifiques écuries du marquis de Breteuil à Choisel, dans les Yvelines.
En 1877, Sanson fait construire à Chaumont-sur-Loire deux écuries destinées à une quarantaine de chevaux, dans un style brique et pierre assez courant à cette époque pour ce type de construction, au sud-est du château, à proximité de la ferme moderne édifié entre 1903 et 1913. Il réutilise cependant « un élément sculptural ancien, visible sur les façades du château (frise sculptée où alternent le double « C » de Charles II de Chaumont et la montagne en flammes) ». L’architecte avait envisagé un développement encore plus important des bâtiments des écuries, qui n’a pas pu être réalisé.
Vue aérienne du domaine de Chaumont-sur-Loire. Sur la gauche, en avant du château, apparait la cour de la grande écurie. On devine, à l’angle gauche de celle-ci, les toits d’une seconde cour, correspondant à la petite écurie, réservée aux invités. © Marc Heller/Domaine régional de Chaumont-sur-Loire
Les écuries s’organisent autour de deux cours fermées d’inégales grandeurs pouvant communiquer entre-elles : la plus vaste à l’usage des châtelains, l’autre réservée à leurs invités. La grande cour est à la mesure des nombreux chevaux et voitures hippomobiles qui y circulent ainsi que du personnel qui y œuvre. Elle dessert la grande écurie, le manège, la cuisine et la sellerie de travail, la sellerie de gala, le hall, les deux remises à voitures hippomobiles et les stalles des poneys.
La première écurie est celle des demi-sang destinés à l’attelage. Elle se compose de neuf stalles, intactes depuis 1877. Chacune d’elle possède un cartouche portant le nom du cheval, une mangeoire et un abreuvoir en fonte surmontés d’une plaque en fonte émaillée polychrome, des boules et crochets en laiton. Les parois de bois sont garnies de tapis brosse, afin que les chevaux ne se blessent pas les flancs. Au mur de l’écurie, dans un encadrement de bois sculpté, un panneau indique les tâches à accomplir.
Dans le prolongement de ces stalles, six boxes sont destinés aux chevaux de selle, généralement des pur-sang. Les murs, à l’origine garnis de lambris en bois verni, sont, depuis les années 1950, dépouillés de leur revêtement. Les portes basses étaient couvertes de tapis de protection, pour éviter que les chevaux ne se blessent les genoux. Une étroite galerie voûtée qu’il est impossible de deviner depuis l’extérieur, établie en arrière des boxes, permet au personnel de se rendre plus facilement et sans encombre de la cuisine à l’écurie des chevaux d’attelage.
D’environ douze mètres de diamètre, le manège était réservé au travail à la longe. Les invités pouvaient admirer l’évolution des chevaux d’une galerie circulaire surmontant la piste, éclairée de deux rangs de petites ouvertures en forme de meurtrières. Ce manège repose sur la base d’un four à verre et à poterie du XVIIIe siècle, qui lui donne son gabarit.
La grande cour permet aussi d’accéder à la cuisine et à la sellerie de travail, une grande salle, lambrissée sur trois de ses murs, où les harnais d’attelage sont entretenus après chaque utilisation et où l’on prépare le « mash » des chevaux. Deux lampes à arc, à l’origine sous le hall, similaires à celles de l’opéra Garnier et de l’hôtel de ville à Paris, montrent le modernisme des écuries qui bénéficient de l’éclairage électrique dès 1898.
La sellerie de gala, intacte depuis le XIXe siècle, est organisée autour d’un siège circulaire capitonné, dont le socle sert de rangement et le centre, de porte fouet. Elle est garnie de selles et de harnachements pour l’attelage comme pour la pratique de l’équitation, provenant des plus grands selliers (Hermès, Clément, Adler, Adam) et est considérée aujourd’hui comme l’une des plus belles selleries de France.
Par sa position centrale et ses grandes dimensions, le hall constitue le cœur de l’écurie. On y lave les voitures après chaque utilisation, on y douche les chevaux, le maréchal s’y installe pour les ferrer, on y attache les chevaux pour les garnir de leur harnais tiré de la sellerie contiguë.
L’horloge rythme le déroulement de toutes les activités (panser les chevaux, les brosser, les seller, endosser sa livrée) et le panneau d’ordres indique à chaque membre du personnel (groom, postillon, cocher, palefrenier) les directives à accomplir durant toute la journée.
La remise à voitures abrite quatre des quinze voitures qui assuraient le train de vie des Broglie : le duc, directement mené par la princesse de Broglie pour ses promenades et les visites aux châteaux voisins, le landau, pour la ville et les courts voyages, le vis-à-vis, pour les parties de campagne ou de chasse, et l’omnibus, attelé à quatre chevaux ou trois de front, pour les déplacements entre la gare et le château, les rendez-vous de chasse ou suivre les courses hippiques.
Le Duc, l’une des quatre voitures hippomobiles subsistant de la collection des Broglie, était mené directement par la princesse. © Domaine régional de Chaumont-sur-Loire Conçu par les frères Dosme à Blois, le vis-à-vis servait pour les parties de chasse et de campagne. © Domaine régional de Chaumont-sur-Loire Le landau, quant à lui, s’utilise en ville et pour les courts voyages. Il a été fabriqué par Mühlbacher, l’une des plus importantes maisons de carrosserie. © Domaine régional de Chaumont-sur-Loire
L’écurie réservée aux poneys comprend quatre boxes occupant les angles de l’écurie et trois stalles aménagées entre les deux boxes du mur nord. Conservée dans son état d’origine avec ses lambris, bat-flanc, mangeoires et râteliers, cette écurie offre le même luxe que l’écurie des chevaux d’attelage. La seule exception est que les boxes sont fermés individuellement par des portes pourvues d’un système de sécurité, rendant impossible l’ouverture par les animaux et empêchant qu’ils ne se blessent contre les poignées.
La petite cour est construite sur le même schéma que la grande, mais en plus petit. Disposant des mêmes espaces (sellerie, cuisine, remises à voitures, quinze stalles et cinq boxes), elle était réservée aux chevaux des invités, que l’on évitait de mélanger avec ceux de la « maison » pour des raisons d’hygiène et de sécurité.
La saison de la chasse à courre intervient chez les Broglie d’octobre à fin mars, deux fois par semaine, les mercredis et samedis. De 1877 à 1892, le prince et la princesse Henri-Amédée de Broglie ne possèdent pas leur propre meute de chiens pour les chasses à courre. En 1877, le budget concernant la chasse mentionne la présence de onze chiens de chasse, deux chiens de cour et trois furets. En 1893, monsieur Ludovic Froger des Chesnes (1861-1936), propriétaire du château de la Gendronnière aux Montils (41120), s’associe au prince Henri-Amédée de Broglie. Ces derniers fondent le rallye Sudais. Le chenil, basé au château de la Gendronnière, est constitué d’une meute de trente bâtards vendéens, à manteaux noir et blanc, acquis chez les éleveurs Lévesque, de Béjarry et Chevallereau. L’équipage chasse le cerf et le chevreuil.
Les maîtres d’équipage et les boutons (Louis de Bodard, baron de Cassin, Raymond et Élie de Fougères, Bernard Akermann, Jean et François Storelli, Gaston Goldschmidt, baron Jean Thoisy d’Espaigne, Édouard de Belot, comte Adalbert de Forceville, comte Bernard de Forceville, comte Charles de Beaucorps, comte Yvan de Beaucorps Créquy, Charles de Lauriston) portent une tenue de couleur brune, col, parements et gilet amarante ainsi qu’une culotte marron. Pour les piqueux, couleurs inversées, rouge et brune, avec galon de vénerie.
En dehors des terres du prince de Broglie, situées à Chaumont-sur-Loire sur un domaine de 2 500 hectares et en forêt de Sudais, le territoire de chasse s’étend également en forêt de Montrichard, Blois et Russy. Les chasses à courre et à tir de Chaumont sont extrêmement réputées et rivalisent avec celles de Rambouillet, chez la duchesse d’Uzès, ou de Ferrières, chez les Rothschild. Les Broglie chassent parfois chez des amis (Hurault de Vibraye, propriétaire du château de Cheverny, de la Motte-Saint-Pierre au château de Montpoupon) ou autorisent d’autres équipages à chasser sur leurs terres.
L’équipage Sudais est mis à bas en 1914 lorsque la déclaration de guerre interrompt toute activité de vénerie en France.
À la mort du prince Henri-Amédée de Broglie en novembre 1917, les écuries cessent peu à peu d’être utilisées. La princesse préférera utiliser les voitures automobiles que le couple princier possède (quatre voitures automobiles).
Un grand merci à John Touchet pour sa disponibilité, ses relectures et son incroyable connaissance des lieux.
1 La sucrerie Say a été créée en 1812, puis reprise par Béghin en 1972 pour constituer Béghin-Say.