Construites entre 1887 et 1890 à l’initiative d’Antonin du Bourg de Bozas, écuyer de Napoléon III, les somptueuses écuries du château de Prye, lambrissées de marbre, sont uniques en France et l’un des chefs-d’œuvre du patrimoine équestre français. Les actuels propriétaires, le marquis et la marquise du Bourg de Bozas, ont l’ambitieux projet de redonner à ce lieu tout son lustre d’antan, en mariant tradition et modernité, mais surtout – il faut le souligner car c’est rare – en lui conservant sa fonction première : accueillir des chevaux.
Le château de Prye est situé dans le département de la Nièvre, en région Bourgogne, arrondissement de Nevers, officiellement dans le canton de Guérigny depuis 2015 mais jusqu’alors dans celui de Saint-Benin-d’Azy, un nom connu des cavaliers, nous y reviendrons un peu plus loin. Il est construit entre le XIIe et le XIXe siècle sur un ancien château fort, dont une tour et les douves témoignent encore de la présence.
En 1771, Louise-Marie de Las, alors propriétaire du château, épouse Emmanuel du Bourg, 5ème marquis de Bozas. C’est ainsi que cette ancienne forteresse entre dans la famille du Bourg de Bozas, qui veille sur ce château depuis plus de 250 ans. Leur petit-fils, Charles-Louis du Bourg de Bozas (1802-1882), construit le mur long de 7 kilomètres entourant le domaine. Mais c’est surtout sous Antonin du Bourg de Bozas (1836-1922) que d’importants travaux sont entrepris à la fin du XIXe siècle.
Antonin du Bourg de Bozas est un cavalier réputé, et le type même de ce que l’on appelle alors « l’homme de cheval ». Grand veneur (à Prye, il chasse le sanglier), son équipage est connu sous le nom de Berry-Nivernais, et réputé pour sa meute de harriers croisés de chiens français. Il suscite l’admiration des connaisseurs. Le comte de Marcy écrit d’ailleurs à son sujet, en 1930, qu’il « montait remarquablement en courses ; il possédait le goût inné des chevaux, des chiens, de la chasse à tir et à courre ; nommé écuyer de Sa Majesté Napoléon III, il fit partie de la cour impériale jusqu’en 18701 ». Au sujet des chevaux, il ajoute : « Quelles admirables bêtes, de même robe, du même modèle, choisies avec art par l’incomparable homme de cheval et de vénerie qu’était du Bourg. Vraiment, cet équipage était unique en France, par sa tenue, son élégance, son chic2. » Passionné d’attelage, il est « un des meneurs de coach les plus actifs de France et un des pionniers du Road Coaching de ce pays3 ». Il est d’ailleurs l’un des fondateurs du Réunion Road Club (réunion de gentleman riders menant des attelages à 4 chevaux), dit RCC, et proposait des circuits à travers le bois de Boulogne. Amateur de courses (il est membre du Jockey Club), d’attelage, autant que fin connaisseur de l’art équestre, Antonin du Bourg contribue aussi fréquemment aux activités de la Société hippique nivernaise, faisant participer ses chevaux aux nombreux concours et courses de la région.
En cette fin du XIXe siècle, les cavaliers aiment emmener leurs invités dans les écuries et dans la sellerie, ou les harnais de luxe sont abrités. Un tel homme se devait donc d’avoir des écuries modernes et somptueuses, à sa mesure. Quand il se retire sur sa terre de Prye, à la chute de l’Empire, la grande fortune de son épouse lui permet de remodeler entièrement son domaine. L’architecte Jean-Baptiste Massillon-Rouvet (secrétaire de Viollet-le-Duc) restaure et l’architecte Albert Thomas agrandit le château. Une statue de saint George est placée au sommet d’une tour hexagonale. En 1873, l’architecte-paysagiste Édouard André dessine le parc de 156 hectares (que ce dernier décrira dans son Traité général sur la composition des parcs et jardins, paru en 1879).
Il fait bâtir d’admirables écuries (architecte : Émile Tarlier) lambrissées de marbre, entre 1887 et 1890, dans un style classique du XVIIIe siècle, ainsi qu’un manège de 630 mètres carrés. Elles sont construites sur l’ancien potager, à quelques centaines de mètres au nord du château, auquel elles sont reliées par une allée bordée d’arbres. Elles abritent les chevaux de chasse, d’attelage et ceux destinés à l’art équestre. L’ensemble, caractéristique de l’architecture châtelaine de la fin du XIXe siècle, forme trois ailes entourant une cour carrée de 40 x 20 mètres. Il est conçu comme une maison, sans qu’on ait l’impression qu’il s’agisse d’un logement pour chevaux, mais plutôt d’un second château.
Le bâtiment axial, au milieu, avec son dôme, sert à atteler. Il s’agit d’un grand hall vouté traversant, traité comme une cour couverte, où sont entreposées, à gauche, les voitures et, à droite, les selleries de travail, de luxe, ainsi qu’une forge. Des trophées y sont exposés aux murs, comme le recommande la mode de l’époque, notamment – et c’est unique – une tête d’éléphant, vestige de l’expédition africaine (1900-1903) du vicomte Robert du Bourg de Bozas (1871-1902), fils cadet d’Antonin, explorateur français mort au Congo. Une passerelle métallique de faible largeur, située en hauteur et destinée au personnel, permet de relier les deux ailes. Au sol, sont dessinés la couronne du marquis, le « B » de Bozas, une fleur de lys et la devise familiale « Lilium inter Spinas » (le lys entre les épines), encerclés par un ceinturon de veneurs. À l’extérieur, des têtes de chevaux portent le tailloir des chapiteaux du pavillon d’entrée, décor sans doute inspiré des chapiteaux des colonnes du manège du Louvre. La sellerie, somptueuse, est recouverte de lambris. Les selles et harnais – arborant les armoiries de la famille – ainsi que les objets sont exposés dans le petit salon ouvert uniquement lors des visites.
Des trophées sont accrochés sous le grand hall voûté du bâtiment central des écuries. On peut notamment y voir une tête d’éléphant, souvenir d’une expédition africaine de Robert du Bourg de Bozas, au début des années 1900. © Epic Image C’est Antonin du Bourg de Bozas (1836-1922), cavalier réputé et grand veneur, qui commande à l’architecte Émile Tarlier ces magnifiques écuries. Au sol des écuries, des armoiries dessinent le « B » des Bourg de Bozas entremêlé d’une fleur de lys, les deux encerclés par un ceinturon de veneur portant la devise familiale : « Lilium inter Spinas » (le lys entre les épines).
Le bâtiment de droite accueille treize boxes – dont neuf en marbre, magistrales et uniques en France – destinés aux chevaux de selle du marquis, dont un double pour le poulinage (les chevaux en quarantaine sont gardés dans les boxes à côté du manège). L’ensemble, de style Louis XV, est desservi par un large couloir formant une galerie donnant sur la cour. À l’extrémité, une « salle de bain » (une simple douche) et un salon orné d’une cheminée de marbre, tendu d’un tissu bleu de France semé de lys et d’épines (emblème de la famille), permettent au cavalier de se détendre (le même tissu orne le couloir au premier étage au château). Les combles sont consacrés aux fourrages et aux logements du personnel.
« Le somptueux décor de l’intérieur des écuries, écrit Pascal Liévaux, joue sur le contraste entre la polychromie raffinée du lambris de marbre et le bossage marqué de faux appareil de pierre qui orne la partie supérieure des murs. Les portes des boxes, dotées d’encadrement d’un dessin recherché, ponctuent les élévations. Le pavement du sol, lui aussi polychrome, est enrichi de grandes dalles aux armes des du Bourg dans une disposition qui évoque l’usage des plaques de propreté. Les marbres furent probablement fournis par les établissements Étienne Georges, anciennement Ehrmann, rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris, qui livrent à la même époque plusieurs cheminées pour le château. Comme l’ensemble du rez-de-chaussée, la galerie est couverte d’un plafond à entrevous de brique sur solives métalliques profilées en I. Très employées dans les communs, cette technique est ici mise en œuvre avec un certain raffinement, les joints transversaux des briques étant masqués de manière à produire un effet de continuité4. »
Le bâtiment de gauche est destiné aux chevaux d’attelage. Il se compose d’une remise pouvant accueillir environ huit voitures, ainsi que de sept boxes et cinq stalles. L’étage, sous les combles, abrite le grenier aux céréales (notamment l’avoine) et d’autres logements du personnel. Si le bâtiment de droite est intact, celui de gauche a été restauré pour accueillir mariages et séminaires.
À l’arrière de ces somptueuses écuries, s’élève un manège de 18 x 35 mètres environ, perpendiculaire à l’ensemble, dans une disposition sans doute inspirée par le manège des écuries de l’Alma. D’environ 630 mètres carrés au sol, il est éclairé par de grandes baies percées dans les pignons et couverte d’une charpente constituée de six fermes métalliques. « Le développement du fer puddlé et le perfectionnement des laminoirs permettaient désormais de produire en série ce type de structure. On pouvait assister en toute sécurité aux exercices des cavaliers depuis une petite tribune aménagée à droite de l’entrée5. » C’est dans le manège que le marquis s’entrainait aux exercices équestres. Il y logeait aussi d’autres chevaux puisque la partie arrière du bâtiment accueillait treize boxes supplémentaires.
L’ensemble pouvait accueillir jusqu’à 49 chevaux et nécessitait 14 personnes.
Comme indiqué plus haut, le château de Prye se situe non loin du canton de Saint-Benin-d’Azy. Un nom qui parle aux cavaliers puisqu’à quelques kilomètres, sur le même canton, s’élève le château de Montgoublin, demeure des Saint-Phalle, où un certain Jacques passa toutes ses vacances et y développa un certain goût pour l’équitation. Personnage digne d’un roman, Jacques de Saint-Phalle (1867-1908) est un cavalier aux exploits remarquables. Écuyer du Cadre noir à partir de 1903 et promis à un grand avenir, si la maladie (un cancer du poumon) ne l’avait pas emporté si tôt, il est une figure marquante de l’art équestre de cette fin du XIXe/début XXe siècle6. Il est enterré dans la chapelle familiale qui s’élève au centre du petit cimetière de Saint-Benin-d’Azy, à l’ombre de la croix des Saint-Phalle, dont il disait « j’aime qu’elle soit verte, puisqu’elle est pleine d’espérance ». On peut penser – ou espérer – qu’Antonin et Jacques se soient rencontrés, puisqu’ils étaient tous deux voisins, passionnés d’art équestre, et marquis. Aristocratie oblige.
Un ambitieux projet de restauration
On ne répétera jamais assez que ce qui permet au patrimoine de perdurer, est avant tout l’énergie de ceux qui veillent sur lui. À part quelques évènements équestres ponctuels, les écuries de Prye n’accueillent plus régulièrement de chevaux depuis une cinquantaine d’année (l’animation pendant la belle saison est due surtout aux mariages, séminaires et évènements culturels dans les deux salles de réception, dont la soirée musicale annuelle sous le haut patronage de l’ambassadeur de Pologne en France).
Antoine-Emmanuel et Magdalena du Bourg de Bozas portent aujourd’hui un projet ambitieux de 1,2 millions d’euros visant à sauver cet ensemble unique (de lourds travaux de sauvegarde sont à engager car le dôme à l’impérial, le manège et la partie droite sont particulièrement en danger, comme l’indique un diagnostic technique remis en août 2021) et à redonner vie – et notamment une vie équestre – à ces écuries.
Ils candidatent pour devenir monument emblématique de Bourgogne-Franche-Comté – ou faire partie du maillage – et être retenu par la Mission Bern. Une ambition à soutenir sans réserve, et à suivre de près.
Je remercie infiniment M. et Mme Antoine-Emmanuel et Magdalena du Bourg de Bozas pour leur généreuse contribution à la bonne élaboration de cet article.
1 Comte de Marcy, Les Veneurs du Nivernais autrefois et aujourd’hui, Paris, Nourry, 1930. Cité dans Andres Furger, « La Demeure d’un gentleman driver, homme de cheval et veneur émérite », Attelage Magazine, n° 127.
2 Comte de Marcy, Les Veneurs du Nivernais autrefois et aujourd’hui, Paris, Nourry, 1930. Cité dans Pascal Liévaux, William Curtis Rolf, Les Écuries des châteaux français, Éditions du Patrimoine, 2005.
3 Pour en savoir plus sur Antonin du Bourg de Bozas et sa passion pour l’attelage, lire l’excellent article de notre confère Andres Furger, « La demeure d’un gentleman driver, homme de cheval et veneur émérite », Attelage Magazine, n° 127.
4 Pascal Liévaux, William Curtis Rolf, Les Écuries des châteaux français, Éditions du patrimoine, 2005.
5 Pascal Liévaux, William Curtis Rolf, Les Écuries des châteaux français, Éditions du Patrimoine, 2005.
6 Lire à ce sujet : Guillaume Henry, « Le dernier pari », Jour de Cheval, n° 26, hiver 2020.
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