Classée au patrimoine mondial de l’Humanité depuis 1998, la cathédrale Saint-Front de Périgueux (Dordogne) est un monument historique majeur sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Restauré par l’architecte Paul Abadie, qui fera plus tard le Sacré-Cœur à Paris, Saint-Front est aujourd’hui l’un des édifices les plus visités d’Europe.
Véritable bijou d’architecture, l’exotisme de la cathédrale de Saint-Front attire tous les ans des milliers de visiteurs. Il faut dire que son histoire tumultueuse, dont son architecture romano-byzantine en est le plus beau témoignage, mérite d’être racontée.
Tout débute au VIe siècle, au temps de l’apostolat en Gaule. L’ermite saint Front est envoyé par saint Pierre lui-même pour évangéliser le Périgord. Vivant en ermite dans une grotte, Front est considéré comme le premier évêque de Périgueux. Entre 500 et 536, la construction d’une première église est lancée par l’évêque Chronope, sur le flanc d’une colline, dans l’actuelle ville de Périgueux. Réalisant l’importance de ce lieu cultuel, Hugues Capet ordonne alors à l’évêque de Périgueux, Frotaire, d’y bâtir une abbaye. Le sanctuaire périgourdin est de plus en plus visité, notamment parce qu’il constitue une étape de la via Lemovicensis.
Au XIe siècle, l’abbatiale devient trop étroite pour accueillir les nombreux pèlerins en route vers Compostelle. On décide alors de lui annexer une église à coupoles sur le modèle de l’église Saint-Marc de Venise. Les deux édifices partagent alors l’autel. Mais en 1120, un terrible incendie se déclare et ravage l’édifice : l’ensemble est alors reconstruit et agrandi, dans une architecture mêlant au roman le style byzantin, inspiré des croisades. On élève également un clocher majestueux au dessus du tombeau de saint Front. Puis aux XIVe et XVIe siècles, le plan original de l’édifice est modifié par l’ajout de nouvelles chapelles, et l’édifice dénote plus que jamais dans le paysage d’églises médiévales.
Paul Abadie dessina lui-même les cinq lustres qui éclairent les coupoles de Saint-Front. Ils furent exécutés en 1851 par le bronzier Louis Bachelet. Le lustre central, situé au-dessus du maître-autel, représente la Jérusalem céleste. Avant de prendre leur place à Saint-Front, ces lustres éclairèrent le mariage de Napoléon III et d’Eugénie de Montijo à Notre-Dame de Paris, le 29 janvier 1853. Le retable baroque, sculpté en 1679 dans du bois de châtaignier et de noyer, avait été commandé pour la chapelle du collège des Jésuites de Périgueux avant d’être transféré dans la cathédrale Saint-Front en 1811.
En 1575, tandis que les guerres de religion font rage en France, les Huguenots s’emparent de la ville de Périgueux qui, pendant plus de 6 ans, devient une place forte du protestantisme. La basilique Saint-Front est pillée et son mobilier détruit. Les reliques du saint fondateur, quant à elles, sont jetées dans la Dordogne. En 1669, l’histoire de l’édifice prend un nouveau tournant puisque le siège du diocèse de la cathédrale Saint-Etienne de la cité est transféré à Saint-Front. L’abbatiale est alors élevée au rang de cathédrale.
Peu de temps avant le début de la Révolution française, les coupoles, jugées en très mauvais état, sont recouvertes d’une charpente d’ardoises. Les rondeurs byzantines de la cathédrale disparaissent alors. Cette solution, plus simple et moins coûteuse, a également pour but de donner à Saint-Front une allure plus conforme à son statut de cathédrale.
Portrait photographique de Paul Abadie. C’est vers 1852, alors que les travaux de restauration du bras sud avaient commencé, qu’Édouard Baldus prit cette photographie depuis les bords de l’Isle. Le cliché donne une bonne idée de ce qu’était Saint-Front alors que sa « restauration » ne faisait que commencer. © Collection de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine. Saint-Front aujourd’hui, depuis les bords de l’Isle.
Un jour, alors que Prosper Mérimée, inspecteur général des monuments historiques, effectue son tour de France des bâtiments en péril, celui-ci s’émeut devant la grandeur de la cathédrale de Périgueux. « Saint-Front est unique » note-t-il dans son carnet de voyage.
Plusieurs architectes se préoccupent de l’état de Saint-Front, mais c’est à Paul Abadie, futur architecte du Sacré-Cœur de Paris, que la cathédrale doit sa singularité actuelle. Successeur de Viollet-le-Duc, Paul Abadie entame en 1852 un gigantesque chantier de restauration et n’hésite pas à réinventer l’édifice. Il prend alors le parti audacieux de reconstruire des coupoles moins nombreuses et de taille unique, qu’il couvre d’écailles et de lanternons. Il décide également d’insérer, entre les dômes, des piles d’angle pyramidales qu’il chapeaute également de lanternons, accentuant ainsi le caractère byzantin de la cathédrale. Afin d’harmoniser l’édifice, l’architecte n’hésite pas à supprimer certaines chapelles, comme celles de saint Antoine et de sainte Anne. Quant au clocher du XIIe siècle, également restauré par Paul Abadie, il reste aujourd’hui le plus bel élément de la cathédrale dont le carillon fait la réputation de Saint-Front.
La restauration de la cathédrale Saint-Front a duré plus d’un demi-siècle et servi de terrain d’expérimentation à Paul Abadie : une inspiration byzantine tentée dans le Périgord, avant que le maître d’œuvre ne réitère le schéma à Paris. Tandis que de nouveaux architectes prennent la relève à Périgueux, Abadie débute sa nouvelle œuvre sur la colline de Montmartre.