Située à Cesson, le plus ancien quartier de Saint-Brieuc, à l’écart du centre-ville, la maison Saint-Yves abrita le grand séminaire du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier, où, de 1927 à 1969, furent formées des générations d’ecclésiastiques. Combinaison de modernité et de tradition, d’Art déco et de motifs celto-bretons, ce trésor patrimonial, inscrit au titre des Monuments historiques en 1995, est devenu accessible au public depuis juillet 2017 au terme de deux années de rénovation. La demeure accueille aujourd’hui, outre les services diocésains, une salle d’exposition, une station de radio et une médiathèque.
Derrière l’épaisse et granitique austérité de ses façades extérieures, la maison diocésaine Saint-Yves est empreinte d’une atmosphère chaleureuse et sereine. Symbolique de la volonté d’ouverture qui s’est traduite notamment par l’arasement du mur de clôture dissimulant autrefois les bâtiments à la vue des passants, le hall d’entrée, déplacé du nord vers le sud et précédé d’une vaste esplanade, laisse pénétrer la lumière naturelle en abondance. Son isolation garantit un confort de visite qui se prolonge dans le cloître, dont les galeries ont été parquetées et les arcatures vitrées. À l’abri des aléas du climat, on y contemple le jardin redessiné par l’architecte Bertrand Aubry, où des chemins rectilignes ont été tracés entre parterres et bassins d’eau.
Subtilement, il joue des symboles et références : douze espaces, ornés chacun d’une variété de plante différente (iris, fraise, rhododendron…), qui peuvent évoquer les tribus d’Israël ou les apôtres; des bancs blancs qui résonnent avec ceux, noirs, de l’esplanade, discret rappel du drapeau breton – le Gwen ha Du – dont la chapelle reprend les couleurs ; des bassins qui renvoient à la frise d’eau vive de celle-ci ; et la statue de saint Yves (patron de la Bretagne), rapportée de la cathédrale de Tréguier lors de l’installation du grand séminaire en ce lieu. L’œuvre fut réalisée par Eugène Guillaume, l’un des sculpteurs de la façade de l’Opéra Garnier, ainsi que du pavillon Turgot du palais du Louvre. Bien visible juste derrière la statue, un imposant porche d’angle couronné d’un fronton triangulaire. Inspiré de l’art roman irlandais, il affirme la revendication identitaire celto-bretonne de l’ensemble.
Quand la modernité s’empare de la tradition
Confronté à l’impossibilité de récupérer les bâtiments du XIXe siècle confisqués lors de la séparation des Églises et de l’État, Monseigneur François Serrand lance en 1923, l’année même de son accession au siège épiscopal de Saint-Brieuc, un concours pour la construction d’un nouveau grand séminaire. Le lauréat en est Georges-Robert Lefort (1875-1954), vice-président de l’Association provinciale des architectes français, architecte ordinaire des Monuments historiques et membre de la Société des architectes diplômés par le gouvernement. Si ses réalisations sont principalement situées en Bretagne, sa réputation est nationale. Elle lui vaudra d’ailleurs, après la Seconde Guerre mondiale, de devenir architecte en chef du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme.
L’ensemble, dont la construction s’échelonne de 1925 à 1927, combine tradition et modernité, tant sur le plan formel (vocabulaire celto-breton et style Art déco) que matériel (avec l’emploi du granit, du fer forgé et du béton). Son programme décoratif, surtout, résume l’esprit des Seiz Breur, un groupe d’artistes qui, à partir des années 1920, explore les voies d’un renouvellement des formes en vue de faire émerger un art breton moderne. En témoignent, dans le cloître, les grandes peintures de Xavier de Langlais, membre des Seiz Breur et fondateur en 1929 de l’Atelier breton d’art chrétien. L’une représente un hommage à la Vierge de cinq saints bretons et l’autre l’arrivée de saint Brieuc, venu d’Angleterre. Quoique d’une exécution postérieure à la construction (1956), elles confirment le programme esthétique des Seiz Breur et celui du grand séminaire.
La claustra surmontant le maître-autel de la chapelle intègre dans sa partie haute une rosace ornée d’un chrisme et des symboles des quatre évangélistes. Mosaïques d’Isidore Odorico fils au-dessus de l’autel majeur de la chapelle, où deux paons symbolisent l’immortalité, tandis que la colombe évoque l’Esprit saint. Le sol de l’allée centrale de la nef est marqué par une alternance de compositions en noir et blanc aux couleurs du drapeau breton et de triskels, symbole celtique figurant trois spirales entrecroisées.
Consacrée en 1929 et inscrite au titre des Monuments historiques en 1995, la chapelle constitue la plus belle section de l’ancien séminaire. Toute de symétrie et de sobre élégance, elle produit une impression d’ordre et d’unité et présente une riche décoration fidèle à l’esprit des Seiz Breur. Les symboles bretons y sont en effet très présents : ses mosaïques de pavement font alterner triskels (étoile à trois branches, symbolisant le feu, l’eau et la terre), compositions de carrés et losanges noirs sur fond blanc (couleurs du drapeau breton) et autres motifs celtiques ; sur les montants d’accès aux stalles, quarante-huit artichauts stylisés rappellent ce légume, très consommé en Bretagne. La cathèdre attribuée à l’ébéniste guingampais Jacques Philippe et les mosaïques murales arborent aussi des éléments celto-bretons dans un style Art déco presque exclusivement abstrait et symbolique. Aucune figure, en effet, dans les quatorze stations du chemin de croix aux motifs d’inspiration celtique, seulement signifiées par des phrases. De part et d’autre de celles-ci, court la frise stylisée de l’eau vive.
Une restauration respectueuse
La chapelle a été restaurée par deux architectes du patrimoine, Frédérique Le Bec et Yves Lecoq. L’effort en matière d’éclairage met particulièrement en valeur, sur les piliers, les mosaïques d’Isidore Odorico, figure majeure de l’Art déco en Bretagne et dans l’Ouest de la France, ainsi que les peintures murales dessinées par Georges-Robert Lefort ou encore le tétramorphe, qui se détache par effet de réverbération sur le mur repeint, derrière le claustra du chœur. Nombre d’éléments décoratifs ont fait l’objet de travaux de restauration, dont la majorité a été confiée à des entreprises locales. Ainsi, la société Métafer est-elle intervenue sur la lourde grille séparant le narthex et la nef, chef-d’œuvre de ferronnerie Art déco, dont la conception en 1930 avait exigé environ mille heures de travail et des trésors d’ingéniosité.
Mosaïques polychromes et fer forgé aux lignes géométriques règnent dans l’escalier de marbre desservant les étages du séminaire. Ici, le palier du premier étage donnant accès à la chapelle. Mosaïques d’Isidore Odorico fils sur l’un des autels du narthex, dédié à saint Joachim. Le béton utilisé dans les années 1920 contenait trop de sable, ce qui fragilisait la structure des bâtiments. Le clocher a ainsi été rebâti, à l’identique du projet de Lefort.
Par le fond de la chapelle, après un bel escalier de marbre aux rampes de fer forgé qui s’élance depuis l’entrée du grand séminaire, on accède à une crypte. Derrière l’autel, marouflée sur le mur, une autre toile de Xavier de Langlais, récemment nettoyée, illustre plusieurs épisodes bibliques : la présentation par une sainte Anne bretonnisée de sa fille Marie au grand prêtre, tandis qu’au fond Adam, Ève et le Serpent évoquent la Chute. À droite, le portement de croix du Christ, derrière lequel se devine la Jérusalem céleste, dans un ciel vert parcouru de nuages d’un jaune orangé qui a retrouvé ses couleurs d’origine. En forte résonance avec les symboles et motifs scandés à travers tout l’ensemble architectural et décoratif, cette œuvre, représentative, s’inscrit dans la cohérence générale de l’ancien grand séminaire : traditionnel et moderne. C’est certainement le mérite de la rénovation que d’avoir su en préserver pleinement l’esprit.
LES SEIZ BREUR, UN MOUVEMENT NOVATEUR
Créé en 1923 à l’initiative des artistes Jeanne Malivel et René-Yves Creston, le mouvement Ar Seiz Breur (« Les Sept frères », titre d’un conte populaire gallo) accède à la notorité deux ans plus tard, lors de l’exposition internationale des arts décoratifs de 1925, puis confirme son dynamisme lors de l’exposition universelle de 1937. Affaibli par l’engagement de certains de ses membres dans le mouvement nationaliste breton discrédité par ses liens avec la collaboration, le groupe se dissout en 1947. Son ambition esthétique – créer en Bretagne « un art moderne et nouveau », en rupture avec la « biniouserie » et une esthétique folklorique encombrée de stéréotypes – se fera sentir dans la plupart des domaines artistiques, avec une présence marquée dans les arts décoratifs (mobilier, textile, vaisselle…).
© VMF/MAP
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