Entre cour et parterres à la française, le château de La Baume illustre l’évolution architecturale d’un édifice marqué par les luttes religieuses des XVIe et XVIIe siècles, puis magnifié par le style classique. Au siècle des Lumières, le Versailles du Gévaudan est rénové et agrandi dans le style de l’architecture classique directement repris au célèbre château royal.
L’ancienne province de Gévaudan correspond, à peu de chose près, à l’actuel département de la Lozère. Au cours du Moyen Âge, l’autorité spirituelle et le pouvoir temporel de l’évêque de Mende se confortent face à un pouvoir central peu présent. Il s’impose peu à peu aux huit barons (d’Apcher, de Canilhac, de Cénaret, de Florac, de Mercoeur, de Randon, de Tournel et de Peyre) qui se répartissent le territoire. Leur importance politique et l’étendue de leurs domaines varient selon les périodes. La signature, en 1307, de l’acte de paréage entre le roi Philippe le Bel et l’évêque Guillaume Durand consacre la domination des prélats sur le Gévaudan et jette les bases de l’organisation administrative du comté ,qui reste inchangée jusqu’à la Révolution française. Les barons prêtent hommage à l’évêque et siègent à tour de rôle aux États du Languedoc.
Fermé autour de sa cour d’un côté, largement ouvert de l’autre sur des parterres à la française : les visages de La Baume, le « Versailles du Gévaudan », résument bien l’évolution architecturale d’un château encore empreint des souvenirs douloureux des luttes religieuses des XVIe et XVIIe siècles lors de sa construction, puis transformé dans le style de l’architecture classique en témoignage, sinon fidèle, du moins affirmé, de l’influence stylistique du célèbre château royal et de la diffusion d’un « modèle français ». Tout cela d’une altière grandeur, à 1 150 mètres d’altitude, dans un cadre sauvage et préservé qui met magnifiquement en valeur ce vaisseau de granit.
Heurs et malheurs des barons de Peyre
À la fin du Moyen Âge, la tendance pour les seigneurs féodaux, en quête de demeures plus confortables, est de quitter les châteaux qu’ils occupaient précédemment. En Gévaudan, le contexte particulier des guerres de Religion ralentit néanmoins ce mouvement. Il faudra ainsi attendre les années 1630 pour voir sur le domaine de La Baume, où existait une simple maison forte, la construction d’une résidence de plaisance à la mode du temps. Le commanditaire de ces travaux, Antoine de Grolée, un gentilhomme originaire du Dauphiné, est par son épouse, Marguerite de Solages, l’héritier des puissants barons de Peyre qui, au siècle précédent, par leur adhésion précoce aux idées de la Réforme, ont entraîné de nombreuses conversions, particulièrement à Marvejols et dans sa région.
Invité aux noces d’Henri de Navarre, le baron François Astorg de Peyre, grand-oncle de Madame de Grolée, est assassiné à Paris lors du massacre de la Saint-Barthélémy, le 24 août 1572. Sa veuve, Marie de Crussol, charge le capitaine Matthieu Merle de porter sa vengeance en terre catholique, entraînant la mise à sac de Mende, la mort d’une grande partie de ses habitants en 1579 et, deux ans plus tard, la destruction de la cathédrale. La riposte sera sans pitié : c’est en août 1586, la mise à sac de Marvejols par les troupes du duc de Joyeuse puis, quelques semaines plus tard, la chute et la destruction partielle du château de Peyre qui ne sera jamais relevé. En 1633, Antoine de Grolée en rase d’ailleurs les derniers vestiges et obtient le transfert officiel du siège de la baronnie à La Baume.
Le château voulu par Antoine de Grolée conserve, volontairement, des éléments défensifs ostensibles, à savoir un ensemble de tours trapues, bâties en pierres de taille de granite et couronnées de mâchicoulis, du fait d’un contexte encore marqué par les tensions religieuses. Plus symboliquement, il s’agit d’une réappropriation de la baronnie médiévale par une famille qui n’est pas originaire du Gévaudan mais qui entend hériter du prestige de son antique puissance.
Père et fils bâtisseurs
À la génération suivante, César de Grolée, le fils d’Antoine et Marguerite, est successivement bailli de Gévaudan puis lieutenant général du roi en Languedoc. Il entend plus encore que son père afficher cette puissance, qui est autant administrative que financière. Le château est alors agrandi entre 1690 et 1715, les intérieurs sont décorés, réaménagés pour former des salons et des pièces plus spacieuses dotées de cheminées. Les façades s’ordonnent dans le goût classique, avec une volonté affichée d’importer en Gévaudan les courants artistiques en vogue dans la capitale. Peu à peu, la demeure primitive se métamorphose.
Désormais, le château de La Baume s’impose comme le plus beau fleuron de l’architecture classique dans la région, remarquable par sa taille et par l’élégance de ses façades et de ses décors intérieurs. Alors que la partie primitive du XVIIe siècle offre l’aspect d’une construction très militaire, celle du XVIIIe , tout en veillant habilement à conserver une unité d’ensemble, notamment par l’emploi de matériaux identiques, présente, avec sa longue façade côté jardin, une ampleur et une régularité qui évoquent Versailles.
Tout naturellement, pour suivre l’éminent modèle royal, un jardin dit « à la française » est créé. Celui que l’on voit aujourd’hui a été aménagé à la fin du XIXe siècle : quatre allées parallèles encadrant des pelouses descendent vers la pièce d’eau mais celle-ci est décentrée. Abattu il y a quelques années, un sapin planté dans l’axe recentrait la perspective. Des balustres et des bornes ponctuent les cheminements alors que des massifs de grands arbres encadrent ces allées. À noter que la pièce d’eau, cadastrée en 1816, faisait vraisemblablement partie de l’aménagement initial du XVIIIe siècle.
Le château, demeure de la famille propriétaire, est l’élément central d’un domaine agricole remarquable, composé d’un moulin, de deux fermes, une dite « haute » et l’autre dite « basse », et de terres. L’existence de la ferme haute semble attestée dès le début du XVIIe siècle car une peinture placée au-dessus d’une porte dans une chambre d’enfant du premier étage du château, représente les bâtiments avant l’agrandissement de César de Grolée : l’on y voit, en effet, le château, construit en équerre avec trois tours d’angle et, parallèle à la façade ouest, une construction immense qui possède une échauguette.
Un château et son domaine
Un document de 1675 mentionne : « Du côté du midi une grande bassecour entourée d’une grande muraille, grande partie du vieux château, grande forge, petite maison servant de grenier à vivres au-dessus, grande écurie d’environ quarante cannes de longueur sur huit de largeur… » Aujourd’hui, le bâtiment que l’on appelle la ferme a gardé sa silhouette avec son toit à deux versants et croupes, et le même rythme de percement côté nord. L’écurie est un bâtiment spectaculaire de quarante mètres de long environ avec une porte à fronton, des fenêtres à croisées et deux échauguettes d’angle. Il s’agit vraisemblablement de la maison forte du XVIe siècle, transformée en écurie-grange, comme semble l’indiquer le document cité ci-dessus.
Alors que le château des évêques, à Chanac, construit de manière tout aussi monumentale, a disparu dans la tourmente révolutionnaire, La Baume survit, mémoire vivante de son commanditaire, César de Grolée, baron puis comte de Peyre. Depuis 1975, les façades et toitures, le grand escalier et certaines pièces avec leur décor – au premier étage, la chambre « du roi », la chambre Régence appelée « la Dauphine » et la salle de billard ; au deuxième, le cabinet de travail et chambre du grand César, le grand salon, la salle à manger ainsi que la cheminée du salon Bleu sont classés au titre des Monuments historiques.
Un ensemble remarquable protégé
En 1995, les bâtiments de la ferme construite aux abords du château sont inscrits, complétant la protection de cet ensemble remarquable. Délaissé après la Révolution, il fut acquis en 1858, de l’héritière des Grolée de Peyre, par Casimir Mayran, conseiller général de l’Aveyron et futur sénateur du même département, dont l’une des filles, Marguerite, épousera en 1880 Emmanuel de Las Cases, petit-neveu de l’auteur du Mémorial de Sainte-Hélène. Avocat à la cour d’appel de Paris, il siégera pendant trente ans sur les bancs du Sénat où il représentera la Lozère. Ce sont ses descendants qui veillent aujourd’hui sur La Baume, château vivant, livre d’histoire dont on ne se lasse jamais de feuilleter les pages.
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