La petite chapelle du château médiéval de Palluau recèle un trésor insoupçonné : un fastueux décor mural peint au début du XVIIe siècle. Les scènes de la vie de la Vierge et les anges de la Passion qui se déploient des murs jusqu’à la voûte sont l’expression de la foi d’une noble dame prise entre catholicisme et protestantisme. Décryptage.
Sans son exceptionnel décor peint, la chapelle Sainte-Madeleine de Palluau ne serait qu’un oratoire modeste dans un château médiéval. Celui-ci fut acquis en 1606 par Antoine de Buade, compagnon d’Henri IV, en partie ruiné par les conflits religieux. La restauration qu’il y entreprit sera poursuivie par sa belle-fille, Anne Phélypeaux, en son veuvage. C’est elle qui commanda les peintures de la chapelle, réalisées vers 1630 par une équipe d’artistes, au moins trois, dont l’identification divise les spécialistes. Pour ce décor, la commanditaire prit le parti de privilégier les représentations de la foi catholique par le biais de sujets empruntés à la vie de la Vierge. Un tel choix ne fut peut-être pas évident pour celle qui avait rallié la religion de son roi au sein d’une famille partagée entre protestantisme et catholicisme… L’iconographie de l’ensemble porte d’ailleurs la trace de ce contexte religieux particulier.
La gloire de la Vierge
Ce cycle consacré à Marie commence par sa Nativité, suivie de sa Présentation au temple, surmontées par son mariage avec Joseph. Le mur est accueille l’Annonciation. Suivent la Visitation et la Nativité de Jésus avec l’Adoration des bergers que surmonte la Circoncision. Côté sud, se déploient l’Adoration des mages, puis la Fuite en Égypte, couronnées par l’épisode de Jésus au milieu des docteurs. Le mur ouest montre l’épisode du Noli me tangere, à savoir l’apparition de Jésus à Madeleine. Enfin, la première travée nord s’achève sur la Pentecôte et la Mort de la Vierge, avec, au-dessus, son Assomption et son Couronnement.
Les voûtains, eux, sont ornés des Anges porteurs des instruments de la Passion, une tout autre thématique donc. Ce développement tient-il lieu de la représentation de la Crucifixion, absente du programme ? Il est fondé de se poser la question.
Les scènes de cet ensemble débutent au registre inférieur de la deuxième travée nord. La Nativité de Marie montre une chambre, dans laquelle Anne reçoit la bouillie offerte à la nouvelle accouchée. Deux servantes préparent le bain du bébé, tandis qu’une troisième réchauffe les langes de l’enfant à un grand feu de bois. Sur la table, près du lit de la jeune mère, un verre de vin et une coupe de fruits forment une délicate nature morte, dont le style évoque la peinture flamande. Sur le mur est, l’Annonciation surmonte l’autel. Le peintre a astucieusement conféré à la fenêtre une dimension symbolique. Saint Bernard explique en effet dans son Commentaire sur le Cantique des cantiques que le mur symbolise la chair et la fenêtre la venue en notre chair du Fils de Dieu, son incarnation. Dans l’ébrasement de la baie, la colombe de l’Esprit saint descend sur Marie, qui est agenouillée devant un livre ouvert, celui des Écritures, annonçant la venue du Messie.
Le programme se poursuit avec la Visitation, scène d’extérieur dépeinte devant la maison d’Élisabeth, accourue au-devant de sa cousine Marie. Leur rencontre occupe la partie gauche de la scène. Prolongeant la Visitation, la Nativité de Jésus montre les bergers agenouillés, comme Marie, devant le nouveau-né. Sa mère soulève les langes et découvre l’Enfant nu rayonnant d’une clarté sublime. L’Épiphanie met en présence les Rois mages sur la gauche, tandis que, sur la droite, Marie assise leur offre son fils à vénérer. Ces rois richement vêtus représentent les trois continents : l’Europe, l’Asie et l’Afrique, ainsi que les trois âges de la vie. Dans la Fuite en Égypte, la Sainte Famille quitte la Palestine. Joseph, chapeau enfoncé sur la tête et bâton sur l’épaule, se retourne vers Marie et l’Enfant.
La Circoncision du Christ, à propos de laquelle saint Bernard, dans ses sermons, insiste sur le fait qu’elle représente la première fois que le Christ verse son sang et annonce déjà la Passion. L’Adoration des mages, incontournable du cycle de Noël. Fête liturgique, comme la Circoncision le fut, l’Épiphanie est célébrée le 6 janvier. Traditionnellement, on offrait les cadeaux ce jour-là et non à Noël.
Un magnifique paysage de montagnes aux horizons bleutés de style italianisant confère à cette scène une saveur presque idyllique. Vient ensuite Jésus au milieu des docteurs. Le plus proche de lui, bésicles sur le nez, cherche dans sa Bible ouverte les passages qu’il lui demande de lui expliquer. Le contraste est saisissant entre ce jeune garçon et les hommes d’âge mûr qui l’interrogent. Jésus enseigne avec assurance, lorsque surgit sa Mère, qui lui reproche de le chercher depuis trois jours avec Joseph.
Anges de la Passion
Si le programme iconographique fait l’ellipse des épisodes de la Passion, celle-ci est néanmoins évoquée sur la voûte par le truchement des Arma Christi, les instruments de la Passion, qui sont aussi les emblèmes du Christ vainqueur de la mort et du péché. Sur la voûte, c’est-à-dire au ciel, ces anges, aux visages sereins qui n’expriment aucune tristesse, présentent croix glorieuse et éponge, marteau et clous, colonne de la flagellation et fouet, bourse de Judas, échelle et lance, gantelet de la soldatesque, aiguière et plateau de Ponce Pilate. L’unique image sanglante est celle du voile de sainte Véronique, où s’est imprimée la Sainte Face. Sur le mur est, se déploie l’Apparition du Christ à Marie- Madeleine, qui est la première à voir le Ressuscité, dans le jardin, avant même les apôtres. Pour valoriser cette rencontre, le peintre a créé un paysage agreste aux couleurs printanières comme illuminées à la lumière de la Résurrection.
Dans la scène de la Pentecôte, Marie, assise au centre de la composition, en constitue l’axe formel et spirituel. Les apôtres agenouillés, en deux groupes, sertissent de leurs vêtements une sorte de couronne autour de la Mère de Dieu, devenue la figure de l’Église. À la mort de la Vierge, les apôtres forment un cercle autour d’elle. Quel contraste entre l’horizontalité du lit, où gît l’agonisante, et ce que dit son regard déjà habité d’infini ! Le cycle se conclut magnifiquement par l’Assomption. Marie s’élève sur des nues, encadrées d’anges, au-dessus de la béance d’un tombeau vide, aux froides lignes géométriques. Des anges la couronnent au ciel.
Ainsi décorée, la chapelle Sainte-Madeleine du château de Palluau, oratoire privé de la famille de Buade, proche des rois Henri IV et Louis XIII, annonce-t-elle mezzo voce les décors du siècle de Louis XIV et constitue-t-elle un trésor trop peu connu de la peinture murale en Berry.
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