À la frontière de l’Aquitaine et du royaume de France, le Bas-Berry n’a pas été épargné par la guerre de Cent Ans. Nombreux, les donjons et châteaux, maisons fortes qui ponctuent les paysages de l’Indre sont la mémoire architecturale de cette histoire locale et régionale qui fait écho à la grande Histoire.
Le Bas-Berry, qui forme l’actuel département de l’Indre, à la frontière de l’Aquitaine et du domaine royal, est à partir du XIIe siècle le théâtre d’affrontements entre Capétiens et Plantagenêts. Issue d’un compagnon de Richard Coeur-de-Lion, la maison de Chauvigny est à la tête des seigneuries de Châteauroux, Brosse, Saint- Chartier, Cluis-Dessous et restera toujours fidèle aux rois de France. C’est d’elle que dépend la plus grande partie des fiefs de la province, sauf Issoudun qui relève du roi ou du duc de Berry, Châtillon, de la Touraine, Levroux et Valençay, de Blois.
Au cours de la guerre de Cent Ans (1337-1453), le Bas-Berry connaît quelques épisodes marquants d’expéditions ou « chevauchées », synonymes de ravages sur le « plat pays », c’est-à-dire les campagnes et les bourgs non fortifiés, dont le but était de s’emparer des villes et des bourgs pour contrôler la position et vivre aux dépens des habitants. Ainsi l’expédition du Prince Noir, fils du roi d’Angleterre Édouard III en août 1356 à Saint- Benoît-du-Sault, Argenton, Châteauroux et Issoudun, qui aboutit à la défaite inattendue de Poitiers, le 19 septembre 1356 ; celle du sénéchal anglais de Poitiers, qui prend et pille le château de Brosse, à Chaillac vers 1369 ; celle des comtes de Cambridge et de Pembroke, en 1369 à La Châtre et Briantes ; ou encore celle de Du Guesclin en 1372, qui reprend Sainte-Sévère aux Anglo-Gascons.
La présence de bandes armées mercenaires, les « routiers », qui rançonnent les seigneurs et les villes, est un mal endémique qui entretient l’insécurité. En l’absence du roi Jean le Bon, captif à Londres, le futur Charles V nomme comme lieutenant un chef de Grande Compagnie : Arnaud de Cervole, qui parvient à s’implanter localement en épousant la veuve du sire de Levroux. À sa mort, en 1366, le roi devra payer pour le départ de ses garnisons.
Un moment « province frontière » à l’époque du Traité de Brétigny (1360-1372), le Berry est ensuite moins touché par les conflits. Lui succède la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons qui amène l’armée anglaise du duc de Clarence, dont il faut acheter le départ en 1412. Le seigneur de Châteauroux et ses vassaux sont restés fidèles à Charles VI, même contre Jean de Berry et son gendre Bernard VII d’Armagnac. Loyaux, mais refusant la domination des Anglo-Bourguignons et le traité de Troyes (1420), Guy II, puis Guy III de Chauvigny et leurs vassaux choisissent ensuite les Armagnacs et le parti du dauphin, qui devient Charles VII en 1422.
Les campagnes sont à nouveau la proie de pillards, tels le capitaine castillan Rodrigue de Villandrando, qui dévaste, entre 1435 et 1437, le pays d’Issoudun à Levroux et de La Châtre à Châtillon-sur-Indre sans parvenir à prendre Sainte-Sévère. L’insécurité générale due aux « écorcheurs » fait que les villes continuent à se remparer : il en subsiste de nombreux témoignages, notamment à Issoudun, Déols, Châteauroux, Saint-Benoît-du-Sault, Levroux. Et les seigneurs obtiennent eux aussi du roi l’autorisation de fortifier leur manoir : la renaissance démographique et économique, attestée par de nombreux baux conservés à partir de 1430, permet toutes ces constructions ou reconstructions.
Défense et résidence
Les anciennes forteresses des XIIe et XIIIe siècles ont repris du service. À Cluis-Dessous, Guy II de Chauvigny aménage sa résidence ; à Châteauroux, son fils Guy III reconstruit le château Raoul, détruit par un incendie en 1366, pour en faire un élégant hôtel seigneurial protégé par une enceinte fortifiée dont plusieurs éléments subsistent. Au bord de la Bouzanne, ancienne frontière et proche de la route de Limoges, le vieux donjon de Mazières est réaménagé, comme en témoigne une monumentale cheminée, aujourd’hui visible au musée de Châteauroux.
Le château de Romefort a été construit à la fin du XIIe siècle sur un lieu stratégique lui permettant de contrôler un gué sur la Creuse. Bâtie sur un plan carré, flanquée de quatre tours et ceinte de douze bretèches, la forteresse s’élève à trente mètres de hauteur. Malgré la destruction d’une grande partie du château, le donjon de Mazières, qui comportait six étages à l’origine, domine toujours la rive gauche de la Bouzanne et sa vallée.
Dans un pays peu escarpé où l’on barre le moindre éperon rocheux pour le fortifier, le château du Bouchet est exceptionnel sur le plus haut « button » gréseux de la Brenne. Il fut aux mains de capitaines anglais entre 1360 et 1370 avant d’être pris par Pierre d’Oradour, à qui Charles V confirme la possession. Ne reste plus aujourd’hui de cette époque et du siècle suivant que le grand donjon et la « tour des Anglais ».
Le modèle le plus caractéristique est alors le logis quadrangulaire flanqué de quatre tours d’angle, déjà présent à la fin du XIIe siècle, à Romefort notamment. Il permet de grouper en un seul édifice la résidence seigneuriale et les éléments défensifs, sur le modèle du donjon de Vincennes de Charles V. Sont ainsi conçus les châteaux de Forges, dans les environs du Blanc (dont la fortification est autorisée par Charles VII en 1442 et dont la charpente est datée par dendrochronologie entre 1446 et 1469), de Pouzieux, près de Châtillon, et de Sarzay, à côté de La Châtre. Des maisons fortes, moins massives, qui contribuent à former une ceinture de défense en liaison avec des forteresses plus puissantes, parsèment aussi la campagne. Elles seront par la suite transformées en manoirs pleins de charme.
Dans l’enceinte de Romefort. La restauration du XIXe siècle l’a certes modifiée, mais elle a empêché la ruine du vieux donjon. Elle témoigne par ailleurs du goût des châtelains d’alors pour l’archéologie médiévale. À Forges toujours, de puissants contreforts renforcent le grand logis. Ce dernier est également épaulé par une tour de défense percée de canonnières.
À ces pierres sont attachés les souvenirs d’hommes de guerre qui ont compté en France et en Europe. Parmi eux, Guy II de Chauvigny, qui sert sous Du Guesclin, combat en Italie et en Prusse ; son fils Guy III, qui suit Jeanne d’Arc jusqu’au sacre de Reims, tandis que Jean de Brosse, maréchal de France, seigneur de Boussac et de Sainte-Sévère, commande l’armée chargée de délivrer Orléans, avant de porter la Sainte Ampoule à Reims.
Le seigneur de Bouesse, Raoul de Gaucourt, gouverneur d’Orléans lors du siège de la ville, fera une longue carrière militaire et diplomatique au service de Charles VII. Isolé en Berry, Régnier Pot est quant à lui un familier des ducs de Bourgogne, seigneur de la Prune, qui a donné son nom à son fief de Berry (La Prune-au-Pot) comme à celui de Bourgogne (La Rochepot). Il faudrait en citer bien d’autres pour faire apparaître les parentés qui innervent ce monde féodal : les Naillac, possessionnés au Blanc, Châteaubrun, Gargilesse ; les Prie, à Buzançais ou encore les Chamborand, aux limites de la Marche et du Berry…
France ou Bourgogne ?
Si les Pot ont pu servir à la fois le roi de France et le duc de Bourgogne, d’autres ont fait le mauvais choix, tels Aimery de Castre et sa femme Belleassez de Magnac, seigneurs de Bouesse et de Cluis-Dessus ; ou encore Périchon [Pierre] de Naillac, seigneur du Blanc et de Gargilesse, qui « s’estoient tournés devers le roi d’Angleterre, ennemi du royaume », et voient de ce fait leurs biens confisqués par la suite. Cela n’empêchera pas Jean de Naillac, le petit-fils de Périchon, d’être grand panetier et chambellan de Charles VII avant d’être tué lors de la « Journée des harengs » en 1429, en portant secours à Orléans assiégée.
Les hauts faits des preux ne doivent cependant pas dissimuler les rapines et les exactions : Hugues de Chamborand, valeureux guerrier, est aussi un pillard, coupable d’incendies, de meurtres et de violences restés impunis. Guillaume de Barbançois, seigneur de Sarzay, a beau secourir La Châtre menacée en 1360, ses troupes n’en pillent pas moins les habitants. Poursuivi par la justice, il n’obtient des lettres de rémission que quinze ans plus tard !
Près du Blanc, le seigneur de La Tour de Rivarennes doit pour sa part racheter ses châteaux à des capitaines gascons contre 5000 écus d’or et des otages. N’ayant pu tenir ses engagements, les otages paieront et recouvreront les châteaux, dont l’un fut « ars [brûlé] et demoly » : contentieux réglé au bout de quatorze ans! Dure époque pour le menu peuple, qui peut parfois se réfugier dans des églises fortifiées, comme à Neuvy-Saint-Sépulchre, Lourdoueix-Saint-Michel ou Saint-Marcel, par ailleurs astreint au guet et à la garde au profit du seigneur.
Peu densément peuplé, le département de l’Indre constitue aujourd’hui un petit monde de solidarités et d’associations accueillantes où chacun se connaît et où les rencontres sont conviviales. Une Fédération des chemins de la guerre de Cent Ans regroupe les associations de sauvegarde de Cluis, de La Prune-au-Pot et de Sainte-Sévère afin qu’élus, professionnels du tourisme et amateurs éclairés soient sensibilisés à un ensemble de sites médiévaux qui s’étirent du Poitou à la Marche et au Bourbonnais. En collaboration avec l’Association pour la recherche en histoire et archéologie médiévale de l’Indre (Arhamis) et l’Académie du Centre, cette fédération organise chaque printemps une journée d’études à Gargilesse, dans l’ancien manoir des sires de Naillac devenu un haut lieu artistique.
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