Dans sa propriété du sud de la Gironde, entre landes et vignobles, François Mauriac aimait se ressourcer auprès des siens. Havre de paix loin du tumulte parisien, Malagar était un refuge propice à l’écriture. Mais l’écrivain se souciait aussi du devenir de son domaine viticole et ne manquait pas de suivre le temps fort des vendanges, aux plus belles heures de l’automne.
Jean Mauriac, fils cadet de l’auteur, a brossé un bref portrait de Malagar, publié dans François Mauriac à Malagar : entretien avec Éric des Garets, paru chez Fayard en 2008 : « Au nord, “les vagues immobiles” des coteaux de Benauge, […] derniers vallonnements de ce pays perdu, appelé l’Entre-Deux-Mers. Au sud, la vallée de la Garonne et “l’immense arc noir des pins”, jusqu’à l’infini, le paysage, “le plus beau du monde”. »
Implanté sur la commune de Saint-Maixant, le domaine de Malagar (aujourd’hui centre François Mauriac) constitue un site d’exception, dominant la vallée de la Garonne, la ville de Langon et la forêt des Landes. C’est l’arrière-grand-père de l’écrivain, Jean Mauriac, qui s’est porté acquéreur de la propriété en 1843. Il y effectue de nombreux travaux de restauration et d’aménagement et diversifie les sources de revenus par la vente du vin, de fruits, du blé, de tabac et de bétail. Le patrimoine bâti se compose d’une maison de maître cantonnée par deux chais, d’un corps de ferme prolongé par deux auvents, d’un parc de quatre hectares ainsi que d’un vignoble de 14 hectares.
Une découverte tardive
François Mauriac naît à Bordeaux en 1885 d’une ascendance à double visage. Du côté maternel, ses racines sont celles d’une bourgeoisie urbaine et catholique, tandis que le côté paternel puise dans une lignée plus laborieuse, constituée de propriétaires terriens en Sud-Gironde. Le territoire de son enfance est celui du chalet de Saint-Symphorien, édifié entre 1889 et 1892 dans un parc de 10 hectares, au cœur des landes girondines. L’époque est effectivement marquée par l’essor de l’industrie du pin, alors que les vignes de Malagar sont touchées par le phylloxera. Sa mère, Claire Mauriac, a fait construire cette villa selon le désir de son mari, décédé en 1887. Maison bourgeoise conçue par l’architecte Marcel Ormière, le chalet est taillé pour accueillir les villégiatures estivales de la famille. Lieu de mémoire, lié aux bonheurs de l’enfance, ce décor sera souvent célébré dans l’œuvre romanesque de François Mauriac, et notamment dans Le mystère Frontenac.
Ce n’est qu’à l’âge de 18 ans que le jeune homme « découvre » Malagar, lors de l’été caniculaire de 1903 qui pousse la famille à délaisser Saint-Symphorien et la touffeur de la forêt landaise. Mais il quitte bientôt l’Aquitaine pour Paris, qui voit naître sa carrière littéraire, dès 1910, avec la parution du recueil de poèmes Les mains jointes, pour accéder par la suite à la reconnaissance, en 1922, avec Le baiser au lépreux. Quelques années plus tard, en 1927, François Mauriac hérite du domaine de Malagar, lors du partage entre les enfants des propriétés de leur mère. Dès lors, les vacances de Pâques, l’été puis la saison des vendanges sont des occasions privilégiées pour s’installer en famille dans la demeure girondine.
Au rythme de la vigne
Malagar vit au rythme des travaux de la vigne. Le début du mois de septembre annonce le temps des vendanges, avec la récolte du raisin rouge, le premier ramassé, seulement durant quelques jours. Vient ensuite la vendange du blanc, plus exigeante, qui se réalise généralement en plusieurs étapes, s’étalant jusqu’à fin octobre, afin de recueillir la précieuse « pourriture noble ». « Le vrai vin de Malagar, raconte Jean Mauriac, c’était le blanc, le doux, le liquoreux, le moelleux, un genre sauternes […] dans mon enfance, [il] était servi […] au déjeuner du dimanche, après le melon et avec les poulets et, au dessert, avec les choux à la crème et les millasses que nous prenions à la pâtisserie Décriteau de Verdelais, après la messe. »
Si la quiétude de Malagar favorise les travaux d’écriture, François Mauriac n’en est pas moins un observateur attentif des activités agricoles qui scandent le quotidien d’un tel terroir. Un humble registre, conservé à la bibliothèque municipale de Bordeaux, témoigne de l’inscription de Mauriac dans une filiation terrienne, soucieuse, depuis des générations, de la pérennité de l’exploitation. Intitulé Livre de raison de Malagar, il constitue une source documentaire pertinente à plusieurs titres. À la fois livre de comptes et journal de bord de la propriété, il est utilisé par François Mauriac à la suite de ses ancêtres, à partir de 1936 et jusqu’en 1968. Il y consigne, en quelques lignes, rédigées le plus souvent au fil de la plume et en fin de séjour, les éléments marquants de la vie du domaine.
On y décèle une préoccupation récurrente, angoissée, quant aux aléas des saisons, aux printemps de glace et aux étés brûlants, vicissitudes de la météorologie aux conséquences désastreuses sur le vignoble. « Jamais plus belle promesse de vendanges n’aura plus trompé le maître de Malagar ! » déplore-t-il, le 13 octobre 1962. « Après des mois de sécheresse qui annoncent en général de grandes années de vin, la pluie, ininterrompue, les orages ont noyé la vendange. » Devant ce spectacle de désolation, compromettant les espoirs de récolte, « mon père était alors comme le héros du Nœud de vipères, confie Jean Mauriac, il aurait aimé s’étendre et recouvrir de son corps la vigne lapidée. » Le Livre de raison de Malagar atteste aussi l’évolution technique du travail de la vigne, avec l’arrivée, à l’automne 1963, d’un « nouveau pressoir mécanique », tandis qu’en 1965 « un tracteur remplace les bœufs ».
Au-delà des servitudes de l’exploitation du domaine, le poète a pris le pas sur le paysan : François Mauriac a modelé le paysage de Malagar, imposant la plantation d’arbres dans un pays de vignes, où les hommes en redoutent l’ombrage. Depuis Calèse, la ligne des 150 cyprès plantée en 1937 est visible plusieurs kilomètres alentour. On compte aussi l’ajout d’un bouquet de pins maritimes – comme une réminiscence de Saint-Symphorien –, des peupliers le long de la prairie et des vignes, des arbres fruitiers… Cette perception aiguë de son environnement, la sensualité de la nature et la prégnance du paysage sont les marques de fabrique du vocabulaire romanesque de l’écrivain. De la magie de ce lieu sont nées les plus belles pages de La chair et le sang, Destins, Le nœud de vipères, mais aussi de nombreux commentaires autobiographiques que nous retrouvons dans le Bloc-notes ou les Mémoires intérieurs…
Une propriété familiale maintenant ouverte à tous
Le site de Malagar appartient depuis 1985 au conseil régional d’Aquitaine et le domaine est classé au titre des Monuments historiques depuis 1996. Le promeneur peut aujourd’hui arpenter à sa guise cette « colline inspirée » et suivre à son tour les déambulations fétiches du romancier, poète, essayiste et journaliste, prix Nobel de littérature en 1952. Le Centre François-Mauriac de Malagar assure l’animation culturelle de la propriété et, chaque automne, d’autres vendanges font battre le cœur du domaine et attisent l’héritage intellectuel humaniste de l’écrivain.
Dans la salle à manger du rez-de-chaussée, le décor inchangé conserve l’ambiance familiale. En 1985, à l’occasion du centenaire de la naissance de François Mauriac, ses quatre enfants ont fait don de Malagar au conseil régional d’Aquitaine. À gauche, l’ancien bâtiment de ferme est protégé par un large auvent. Il abrite aujourd’hui l’espace culturel du centre François-Mauriac.
Depuis plus d’un an, la Région Nouvelle-Aquitaine, très attachée à son patrimoine mauriacien et à sa préservation, a engagé avec le centre François Mauriac, un vaste programme d’aménagement et de restauration du domaine de Malagar. Après le chai du blanc, c’est au tour de la maison de faire l’objet d’un important chantier de rénovation. Pour cette raison, depuis le 1er décembre 2019, la maison de François Mauriac a fermé temporairement ses portes.
© VMF/MAP
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