Dans le nord de la Vienne, trois châteaux partagent le privilège d’abriter des chapelles seigneuriales qui rivalisent par la qualité de leurs décors. Insoupçonnables depuis l’extérieur, ces petits bijoux de raffinement et de spiritualité témoignent tout à la fois de la grande piété de leurs commanditaires et de leur volonté de paraître.
Si la présence d’une chapelle au sein d’un ensemble castral est traditionnelle pendant toute la période médiévale, elle est particulièrement en phase avec le courant spirituel et religieux appelé devotio moderna, qui se développe à travers toute l’Europe à partir de la fin du XIVe siècle. Son essor s’illustre notamment par la construction d’oratoires permettant d’assister quotidiennement aux offices et de pratiquer une piété personnelle qui peut se passer de l’intercession d’un homme d’Église. Cette soif de dévotion privée n’exclut pas de s’entourer de décors très riches et raffinés, comme c’est l’illustrent plusieurs chapelles castrales situées dans la Vienne.
Le château de Ternay est reconstruit à partir du second tiers du XVe siècle par Bertrand de Beauvau, conseiller du roi René d’Anjou, alors au centre d’une Cour réputée pour sa culture courtoise et sa grande érudition. Enchâssée entre le donjon et une tour cylindrique, la chapelle est édifiée à partir de 1444, comme l’atteste une inscription gravée dans la galerie qui la précède. On y accède par une porte en bois à doubles vantaux, entièrement sculptée et ajourée de motifs d’arcades polylobées surmontées de roses ajourées.
LE DÉCOR SCULPTÉ DE TERNAY
La chapelle comprend deux travées rectangulaires voûtées d’ogives. L’espace est réduit mais le décor est d’une grande richesse. Les voûtes d’ogives sont accompagnées de liernes et sont ornées d’un décor sculpté à la fois figuratif et ornemental. Sur les clés de voûte, on peut voir, au centre, un couronnement de la Vierge, accosté d’un saint Pierre et d’un Christ ressuscité. Les nervures sont également recouvertes de personnages sculptés, représentant les apôtres. D’autres sont simplement décorées de rinceaux végétaux. Elles retombent sur quatre culots sculptés à l’effigie des quatre Vivants, c’est-à-dire les symboles des quatre évangélistes (le lion de saint Marc, l’aigle de saint Jean, le bœuf de saint Luc et l’ange de saint Matthieu).
Le retable sculpté de la chapelle de Ternay représente l’Annonciation. Une Vierge de l’Immaculée Conception surmonte l’ensemble. © Bernard Galéron / VMF Culot de l’oratoire de la chapelle du château de Ternay. Qu’il s’agisse du travail mèche à mèche des cheveux ou de la denture du personnage, le traitement du visage étonne par son réalisme. © Bernard Galéron / VMF
Sur les élévations, un décor d’arcatures trilobées aveugles, surmontées de gâbles et de pinacles, se déploie de part et d’autre de l’autel. L’ensemble est complété par le retable au centre de la chapelle. Lui aussi sculpté, il abrite une Annonciation. La Vierge agenouillée fait face à l’ange, en lévitation devant elle. Une colombe domine la scène. La composition est fermée de part et d’autre par des éléments de mobilier qui rappellent le cadre quotidien de Marie. La composition s’inscrit dans un arc en accolade, cantonné de bustes d’anges céroféraires, c’est-à-dire qui portent des cierges. Une Vierge de l’Immaculée Conception surmonte l’ensemble.
ART GOTHIQUE FLAMBOYANT
Le vocabulaire ornemental utilisé dans la chapelle ainsi que la densité du décor illustrent à merveille l’art gothique flamboyant, dernier avatar de ce courant stylistique, qui mêle ici de manière admirable répertoire architectural virtuose et ornements végétaux. La chapelle est cantonnée de deux oratoires construits dans l’épaisseur du mur, réservés aux commanditaires. Les culots de ces espaces sont également sculptés de têtes humaines d’une grande diversité, illustrant la verve et la liberté expressive des sculpteurs. Ainsi, malgré l’exiguïté de l’espace, la chapelle de Ternay livre un exemple saisissant de la richesse, de l’inventivité et de la virtuosité du gothique flamboyant.
À peine plus grande que celle de Ternay, la chapelle du château de Dissay arbore un décor peint d’une richesse et d’une érudition exceptionnelles. Nichée au premier étage d’une des tours du château, elle était reliée aux appartements du commanditaire, Pierre d’Amboise. Évêque de Poitiers de 1481 à 1505, ce dernier appartient à une lignée prestigieuse de bâtisseurs, mécènes et amateurs d’art. Son frère, Georges, fut archevêque de Rouen, cardinal et légat pontifical pour la France, conseiller et ami du roi Louis XII qu’il accompagna lors de ses campagnes d’Italie. Son autre frère, Louis, évêque d’Albi, est à l’origine du décor somptueux de la cathédrale. Dans tous les cas, ces commandes se caractérisent par leur grande qualité artistique. À Dissay, le décor de la chapelle est particulièrement riche et complexe. Sur une superficie de taille modeste, 5,66 mètres par 6,80 mètres, il se développe sur deux registres.
En partie basse, des tentures en trompe-l’œil sont retenues par des anges. En partie haute se déploie une série de tableaux sur le thème de la Miséricorde. Sur le mur ouest est représentée une fontaine de Miséricorde : un Christ en croix surmonte un bassin contenant le sang rédempteur des plaies du Christ. Sur la margelle se tiennent Marie Madeleine, Marie l’Égyptienne, Pierre et Paul, tous quatre pécheurs repentis. Sur le pourtour de la composition, sept anges portent les instruments de la Passion. Ce thème de la fontaine de Miséricorde apparaît au XVe siècle et connaît un succès populaire. En effet, les pécheurs repentis ont un parcours de foi dont la dimension d’humanité peut sembler plus accessible aux fidèles. Sur les murs nord et sud, d’autres tableaux complètent la scène principale : on y trouve Adam, David, Manassé et Nabuchodonosor. Le décor mis en place à Dissay se signale par sa qualité plastique et artistique. Les visages féminins sont d’une grande grâce, avec leurs fronts bombés, leurs yeux étirés en amande, leurs chevelures déployées en longues ondulations, proche de l’art dit de la « détente », qui se développe dans la vallée de la Loire dans la seconde moitié du XVe siècle.
Dans le décor peint qui qui se déploie autour de la scène de Crucifixion constituant l’axe central de la fontaine de Miséricorde, à l’intérieur de la chapelle du château de Dissay, sept anges portent les instruments de la Passion dans le décor. © Bernard Galéron / VMF Détail de la figure de saint Paul, insérée dans la scène de la fontaine de Miséricorde. © Bernard Galéron / VMF Figure de Marie Madeleine, détail de la scène de la fontaine de Miséricorde, à l’intérieur de la chapelle du château de Dissay. © Bernard Galéron / VMF
La richesse du décor se traduit également dans le traitement très détaillé des étoffes, des armures des personnages, des ailes des anges dont le miroitement illustre la magnificence de la commande. Celle-ci peut d’ailleurs paraître en contradiction avec la volonté affichée de Pierre d’Amboise de se présenter en repentant. Les fonds des tableaux sont également riches de paysages, d’éléments d’architecture d’un grand naturalisme. Le décor est complété par une série de vers directement issus de la cour de René d’Anjou, que l’on retrouve ici comme à Ternay.
LE CHRIST DE LA VERVOLIÈRE
Aménagé à l’époque de François Ier du Plessis, dans la seconde moitié du XVe siècle, l’oratoire du château de La Vervolière présente un décor plus modeste mais également d’une très grande qualité. Il figure un Christ en croix accosté de deux saints, sur un fond paysagé. Le modelé du corps du Christ est particulièrement sensible : la cage thoracique est très saillante, les bras sont maigres et semblent désarticulés, la tête est penchée sur le côté. L’accent est mis sur la nature humaine du Christ, dans un contexte de spiritualité religieuse proche des deux exemples précédents.
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