Historiquement, le Beaujolais s’ancre autour de la personnalité de Bérard de Beaujeu, premier baron du nom, dont les possessions sont mentionnées dès 957. La baronnie deviendra la troisième de France, après Bourbon et Coucy et sa puissance sera perçue comme une menace constante par ses voisins. Dans le contexte de la féodalité où les conflits de territoire sont nombreux, les bourgs se fortifient et les sites seigneuriaux se dotent de dispositifs ouvertement défensifs.
L’histoire des sires de Beaujeu, qui s’amorce au Xe siècle, est celle d’une puissante lignée féodale qui connaîtra en quelques siècles une belle ascension. Le foyer originel de cette puissance est le château de Pierre-Aigüe, à la ceinture défensive de tours-donjons, aujourd’hui détruit, mais qui domina le village de Beaujeu, leur première capitale, jusqu’au XVIIe siècle. C’est surtout à partir du XIe siècle que les seigneurs de Beaujeu, notamment avec Guichard III, que Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, décrit comme « l’araignée qui tisse sa toile », puis son fils, Humbert II, qui acquiert la mouvance de Limas, où il créera Villefranche en 1140, future capitale économique du Beaujolais située vis-à-vis d’Anse, forteresse des archevêques de Lyon, affirment leur volonté d’expansion territoriale.
Elle se traduit par une politique d’acquisitions, le château de Juliénas, le fief de Montmelas, le château de Pouilly-le-Châtel, résidence, parmi d’autres, de Guichard IV le Grand, beau-frère par alliance du roi de France Philippe Auguste, qui mourut en 1216, ou encore les châteaux de Varennes (Quincié), de La Pierre (Régnié-Durette) ou du Thil (Vaurenard), entrent ainsi progressivement dans leur patrimoine. Cependant, leurs possessions d’un seul tenant, qui s’étendent des côtés de la Saône, s’arrêtent en revanche au nord de l’actuel pays des Pierres dorées. Les seigneurs de Beaujeu sont vassaux des rois de France pour leur terre de Beaujeu, des ducs de Bourgogne et des comtes de Forez pour certains de leurs fiefs et de l’Empereur (jusqu’en 1337), pour leurs possessions outre-Saône. Une situation qui est courante dans le monde féodal, mais qui peut être source de conflits puisqu’elle oblige parfois à des fidélités contradictoires…
L’héritage des Beaujeu
Par son mariage, en 1219, avec Marguerite de Baugé, dont la dot comprend le château de Miribel, la Dombes et des terres s’étendant aux portes de Lyon, Humbert V, fait connétable de France en reconnaissance de ses services pendant la croisade contre les albigeois puis pour avoir accompagné Louis IX en Terre sainte, menace les prétentions des archevêques de Lyon, qui, eux-mêmes grands seigneurs temporels, voient d’un fort mauvais œil la puissance de ces barons. Le fils d’Humbert, Guichard V, étant mort sans postérité, le Beaujolais passe à sa sœur, Isabelle, épouse de Renaud d’Albon, comte de Forez. Désormais uni au Forez, le Beaujolais connaît une période brillante. Mais la lignée s’achève avec Édouard II de Beaujeu, dont le testament, daté de 1391, stipule que, s’il vient à décéder sans descendance, la seigneurie de Beaujeu, également convoitée par le duc de Bourgogne, reviendra à Louis II de Bourbon, arrière-petit fils de Saint Louis.
Vitrail du XVe siècle provenant de l’hôtel de La Bessée à Villefranche-sur-Saône. Richement vêtus, les deux joueurs d’échecs pourraient représenter des membres de la famille de Beaujeu. Musée national du Moyen Âge, Paris. © Maison du Patrimoine/Villefranche-sur-Saône Portrait de Pierre II de Beaujeu (1439-1503), duc de Bourbon et d’Auvergne. Le Maître de Moulins, un artiste anonyme aujourd’hui identifié de manière quasi certaine avec le peintre Jean Hey, a représenté l’époux d’Anne de France, fille de Louis XI, au côté de saint Pierre. Musée du Louvre.
Le legs devient réalité en 1400. Désormais, le Beaujolais et la Dombes sont unis au duché de Bourbonnais, que Louis II a hérité de son père, et au comté de Forez, qu’il tient de son épouse. Une histoire tumultueuse et haute en couleurs se termine, qui s’inscrit dans le lent mouvement d’unification du royaume au détriment des principautés territoriales. D’ailleurs, l’arrière-petit-fils de Louis II, Pierre, sire de Beaujeu, duc de Bourbon et d’Auvergne, jouera un rôle de premier plan dans l’histoire de France, en assurant au côté de son épouse, Anne de France, fille de Louis XI, la régence durant la minorité de Charles VIII, entre 1483 et 1491.
Tenir fermement ses positions
À la veille de la Renaissance, le Beaujolais n’est donc plus associé à ces luttes incessantes qui, pendant plusieurs siècles, ont été le quotidien de la région. Car, outre les antagonismes entre sires de Beaujeu et archevêques de Lyon, entre sires de Beaujeu et comtes de Forez, il a fallu compter également avec les conflits récurrents entre les archevêques et les comtes de Forez. Ces derniers ne se contentent pas de posséder de vastes terres autour de Lyon (dans les monts d’Or, au sud de la Dombes, mais aussi dans la vallée de l’Azergues ou celle de la Brévenne) avec, cela va sans dire, les revenus seigneuriaux qui y sont attachés, mais prétendent porter le titre de comtes de Lyon, arguant du fait qu’ils exercent – ou au moins revendiquent – sur la capitale des Gaules une juridiction civile. Il faudra attendre 1173, et la conclusion d’un accord connu sous le nom de « permutatio », signé entre le comte Guy et l’archevêque Guichard, sous l’égide du roi et du pape, avec ratification de l’Empereur, pour que le comte abandonne à Lyon la rive gauche de la Saône, tandis que l’archevêque, désormais titré comte de Lyon, renonce au profit de son voisin à ses terres situées dans le Forez ou à proximité.
Cette situation, apaisée sur ce flanc au moins, n’empêche pas les archevêques de tenir fermement leurs positions défensives dans les zones frontières avec les possessions des Beaujeu. En témoigne un village comme Ternand, que l’on découvre, aujourd’hui encore, juché sur un promontoire rocheux et parcouru de ruelles serpentines. Place forte et clé des possessions des archevêques au cœur de la vallée de l’Azergues, dont le contrôle est alors considéré comme vital pour la sécurité de la cité, le village comptait un château fort, dont il ne reste que des ruines. Ce fut Jean Belles-mains, archevêque d’origine anglaise, qui, dans les dernières années du XIIe siècle, fit élever un mur d’enceinte autour du bourg, afin de défendre celui-ci contre les éventuelles attaques des sires de Beaujeu, notamment le belliqueux Guichard IV, tandis que son successeur, Renaud de Forez, faisait construire un donjon mesurant 30 mètres de hauteur. Avant que Lyon ne soit définitivement intégré au royaume de France en 1312, ce sont les archevêques qui détiennent ici le pouvoir temporel, vivant tels de véritables seigneurs et exerçant les mêmes privilèges (droits de justice, de péages, pouvoir de battre monnaie).
Se défendre, une constante préoccupation
Partout, ces rivalités ont fortement marqué le territoire et conféré aux bourgs, châteaux et maisons fortes un aspect fortifié plus ou moins prononcé. Il en va déjà ainsi du petit village d’Oingt où les seigneurs éponymes se sont installés dès le XIe siècle. Du village, castrum romain devenu puissante viguerie au Moyen Âge, subsistent le chemin de ronde, l’église paroissiale, elle-même fortifiée, l’enceinte et notamment la porte d’entrée nord, appelée porte de Nizy. De l’ancien château à motte qui se dressait sur une colline escarpée, il ne reste aujourd’hui que la tour-donjon circulaire à cinq niveaux, édifiée entre 1181 et 1193. Ce donjon, imposant, visible de loin, inscrit dans le paysage, était un moyen pour les seigneurs de signifier leur puissance : ce type de construction, fort inconfortable, était en effet impropre à l’habitation sédentaire, et c’est généralement un logis en contrebas qui servait de résidence. Autre exemple, le château de Châtillon, situé dans la vallée de l’Azergues, sur un promontoire rocheux, qui est mentionné dans le fameux accord de « pemutatio » évoqué plus haut et appartient au XIIIe siècle en partie à la famille d’Oingt. Le donjon est édifié en 1230 par les seigneurs d’Oingt, qui possèdent ici une véritable forteresse, dotée de trois enceintes successives et pouvant abriter quelque 3 000 personnes.
Toutefois, les simples maisons fortes, possessions de seigneurs de moindre rang, se dotent également de dispositifs défensifs. Le château du Sou, au fond de la vallée du Morgon, s’inscrit aussi dans cette problématique du bâti en ces temps belliqueux. Bien que la demeure ait été fortement remaniée au XIXe siècle, elle présente toujours des meurtrières, les traces d’un pont-levis, d’une porte fortifiée, de douves aujourd’hui en grande partie comblées. La maison forte d’Épeisses, à Cogny, dont la partie la plus ancienne (datant du XIIIe siècle) est un grand logis, type de construction relativement répandu dans la région, conserve une grosse tour ronde ainsi qu’une échauguette en brique, rappels du temps où il fallait pouvoir faire face à un coup demain. Pour sa part, le château de Jarnioux, construit à flanc de coteau et dominant la vallée de l’Ombre, occupe un site dont la configuration rend la surveillance et la défense relativement aisées. Lui aussi en position dominante, le château de Montmelas, vaste complexe castral qui deviendra propriété des Beaujeu au XIe siècle, marque bien l’évolution que les châteaux subiront dès la fin du Moyen Âge, alors que les changements dans l’art de la guerre comme les nouvelles configurations territoriales et politiques rendent obsolète la nécessité de telles constructions.
Montmelas, une sentinelle veillant sur le Beaujolais
Par Perrine Guyot, guide conférencière
Le site est mentionné pour la première fois en 976, dans une charte de donation de l’abbaye de Cluny, sans pour autant qu’il soit fait mention d’un château. Il faut attendre 1087 pour voir citer dans un texte un castro montis malarii, expression latine que l’on peut traduire sous la forme suivante : « mont recouvert par un verger ». À la même période, on retrouve une mention en langue burgonde : Mons Molis Arduoe, qui signifie « monticule servant d’assise à un camp retranché ». Les deux langues ont certainement leur part dans le toponyme actuel. Toutefois, il est fort probable, en fait, que le site ait été occupé dès l’Antiquité, hypothèse que rendent vraisemblables son emplacement stratégique et le passage à proximité de Jules César, qui commença la conquête de la Gaule par le Beaujolais traversé par lui en 58 avant J.-C.
À l’époque médiévale, Montmelas, s’inscrivant dans une structure en éperon, est une place forte défendant, telle une sentinelle, tous les points faibles du Beaujolais. Isolé et retranché, le site n’en reste pas moins visible à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde. Le château, implanté sur un promontoire calcaire, culmine à 480 mètres d’altitude et à 15 mètres au-dessus du village. Montmelas est à 6 kilomètres de distance de Villefranche-sur-Saône. Cette partie du Beaujolais était un point de rencontre entre trois grandes puissances : les ducs de Savoie, de l’autre côté de la Saône, l’archevêque-comte de Lyon plus au sud et le roi de France en Bourgogne, plus au nord.
Ce sont les Beaujeu qui firent construire à cet emplacement, un ouvrage fortifié, d’abord en bois puis en pierre. Le château passa ensuite aux Bourbons, puis, après avoir connu plusieurs propriétaires, fut acquis par la famille Arod en 1566. Depuis cette époque, il n’a jamais été vendu, se transmettant à plusieurs reprises, depuis le XIXe siècle, par les femmes. Curieux écho du passé : durant le Moyen Âge, Montmelas servit à cinq reprises de douaire à des veuves. Le château fut en très grande partie restauré dans le goût néogothique par l’architecte lyonnais Louis Dupasquier, une première fois vers 1840 puis de nouveau vers 1860. Aujourd’hui encore, le château de Montmelas, forteresse « plus vraie que nature », est un site emblématique du Beaujolais tant pour son histoire et son architecture que pour son vignoble.
Dans le secret des sanctuaires, d’émouvants trésors peints
Les seigneurs du Beaujolais médiéval n’ont pas seulement laissé un patrimoine à vocation défensive, ils ont aussi contribué à la création de nombreux lieux de culte, certains ornés de remarquables décors muraux. L’église Saint Jean-Baptiste à Ternand, dotée au XVe siècle d’une galonnière (porche donnant accès à l’intérieur de l’église, servant autrefois aux funérailles des pauvres) typique des églises beaujolaises, compte une crypte romane du XIe siècle, abritant le plus ancien ensemble de peintures murales retrouvé dans le département du Rhône à ce jour. L’iconographie qui est proposée, bien que partielle par endroits, est à la fois attendue et originale. On y note la représentation du Christ en majesté dans une mandorle, les quatre évangélistes apparaissant sur des médaillons ou des groupes aux constructions similaires se répondant. La présence d’une Vierge voilée tenant un rameau d’olivier intrigue : on a pensé qu’il pouvait s’agir d’une Vierge annonciatrice. Rappelons toutefois que le rameau marque le début de la Nouvelle Alliance, accord réitéré entre Dieu et le genre humain. Tous ces ensembles peints se distinguent par l’usage de l’aplat, la technique a fresco (pigments apposés sur enduit frais), l’absence de perspective, l’usage du cerne noir et d’une palette chromatique réduite (ocre rouge, ocre jaune, blanc, variantes de gris, noir majoritairement).
Attenante au château du Sou, à Lacenas, la chapelle Saint-Paul (ou Notre-Dame-du-Sou), datant des XIe-XIIe siècles, n’est pas en reste et constitue, sur le thème de l’enfance du Christ, le plus important décor historié conservé dans le département. La scène de la Nativité, riche en détail, est remarquable. La chapelle compte également une litre, bandeau de couleur noire qui court tout le long de la nef et sur laquelle sont représentés les blasons des seigneurs défunts du lieu. La litre dite « seigneuriale » ou « funéraire », pratique courante au Moyen Âge, peut parfois courir même à l’extérieure de l’édifice.
© VMF/MAP
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