Le numéro 296 du magazine VMF, sorti en kiosque le 2 mars 2021, vous emmène à la découverte des plus beaux jardins de France. Vous souhaitez en découvrir davantage ? Après sa ronde des jardins d’inspiration médiévale et la découverte des jardins de Noirlac, PAJ vous propose une nouvelle promenade dans le jardin de Cimiez, à Nice.
Au cœur de l’ancien chef-lieu des Alpes Maritimae romaines, le jardin du monastère de Cimiez offre aux promeneurs six siècles d’histoire. Transformé en jardin public par la municipalité niçoise en 1927 sous la férule d’Auguste-Louis Giuglaris, il est aujourd’hui un bois sacré, un jardin monacal et de villégiateurs dont les multiples facettes révèlent l’histoire de Nice.
Au travers des frondaisons de la belle oliveraie d’un jardin public de Cimiez apparaissent les clochetons de l’église Notre-Dame-de-l’Assomption du couvent des moines franciscains qui la jouxte. Le jardin des arènes de Cimiez est une réminiscence de la campagne niçoise des XVIIIe et XIXe siècles. Complanté d’arbres multicentenaires, cultivés pour produire une huile exportée à travers l’Europe dès l’arrivée du chemin de fer en 1864, cet espace public est aujourd’hui destiné aux promenades et à la pratique sportive. C’est en le traversant que l’on arrive au jardin du monastère de Cimiez.
Un lieu multiséculaire
Le monastère des frères mineurs de l’Observance est situé sur le plateau le plus oriental de la colline de Cimiez. Cet espace, qui domine au nord la ville de Nice, est plus connu pour rassembler un ensemble archéologique remarquable, composé d’importants monuments publics (amphithéâtre, thermes, groupe épiscopal) de l’antique ville de Cemenelum. Cette situation géographique, près de l’ancienne voie romaine Julia Augusta au nord et au sud, en fait un point de vue remarquable sur la ville, les collines alentour, le fleuve Paillon et la mer.
Ce sont les frères dominicains de Saint-Pons qui concèdent aux franciscains une chapelle déjà dédiée à Notre-Dame et des terres en 1546. Au centre d’un premier cloître, les moines aménagent une citerne, ouverte au public et renommée pour la pureté de son eau.
En 1663, les franciscains récupèrent au sud-ouest de leur jardin une petite butte qu’ils aménagent en chênaie : le Bois sacré. Il s’agit de chênes verts de type Quercus ilex, clos de cyprès florentins (Cupressus sempervirens). L’ambiance y est très différente du jardin ensoleillé des moines : toujours ombragé par un feuillage persistant, il y fait particulièrement bon l’été. Esus ou Jupiter, longtemps vénérés aux premiers siècles de notre ère, semblent régner encore dans les bosquets. Une inscription dédiée à Sylvanus a d’ailleurs été retrouvée non loin de là.
Un jardin de moines
Au XIIIe siècle, les traités d’Albert le Grand et de Thomas de Cantimpré, moines dominicains, conduisent les monastères à adopter des principes spécifiques de jardin monacal. C’est néanmoins François d’Assise qui est le premier à évoquer dans le Cantique des créatures une nature visible, bienveillante à l’homme.
Les moines franciscains de Cimiez mettent en pratique son œuvre : un hortulus, c’est-à-dire un jardin potager à fonction économique – la nourriture monastique étant surtout végétarienne –, l’actuelle roseraie dans la partie sud-ouest. Mais également un pomarius, ou verger, les parterres d’orangers et de magnolias au centre. Enfin, un herbularius, ou jardin médicinal – jardin des simples – évoqué aujourd’hui par le jardin le plus au sud. L’enceinte du cloître quant à elle était tournée vers la prière au milieu de l’hortus conclusus, ou petit verger clos de murs qui symbolisait l’idéal du jardin de la Vierge.
La documentation est rare sur la composition spécifique des végétaux du jardin des moines, à l’exception d’une vigne plantée dans le potager qui servait pour élaborer le vin de messe. Les moines de Cimiez auraient inventé cette variété de salade appelée « mesclun » qui est en réalité un mélange de jeunes pousses de salades douces et amères, qui varient selon la saison.
Les moines cultivaient également des « cougourdons » (Lagenaria siceraria), ces cucurbitacées qui ne se mangent pas mais qu’ils transformaient en récipients, car imperméables après avoir séché au soleil, et dont les feuilles permettaient au plus chaud de l’été de constituer des tonnelles ombragées. Cultivées dès la Rome antique, recommandées au Moyen Âge, ces courges étaient à l’honneur de réjouissances festives lors du festin dei cougourdon, qui se tient toujours dans le jardin des arènes. Cette fête célèbre la Vierge de l’Annonciation, le 25 mars.
En 1927, Octave Godard décrira le jardin en ces termes : « On y cultivait avec une science consommée les orangers bigaradiers, les grenadiers, les citronniers, la vigne, le laurier, la rose, l’œillet et le lys ainsi que les plantes médicinales. » De fait, quelques citronniers, orangers et grenadiers subsistent de nos jours mais leur nombre étaient bien plus important au début du XXe siècle.
Un jardin remanié, protégé et écologique
Dans les années 1930, la Ville de Nice élabore des projets d’agencements réguliers, de style composite façon Octave Godard. C’est Auguste-Louis Giuglaris, directeur des jardins de la Ville, qui va conceptualiser les lieux en aménageant, à l’extrémité sud, un jardin rythmé par trois fontaines au milieu d’éléments végétalisés en parterres carrés, souvenir du jardin des simples. Une pergola surplombe ce jardin tout en permettant la contemplation de la mer.
Aujourd’hui, le jardin, où une belle roseraie s’épanouit chaque printemps, est géré par la direction des espaces verts de la Ville de Nice. Le « patron céleste des écologistes », comme a été nommé François d’Assise par le pape Jean-Paul II en 1979, serait à son aise dans ce jardin qui a reçu l’écolabel et dont les fontaines ont été aménagées en circuit fermé afin de préserver la ressource en eau. Ce jardin d’intérêt majeur de 9 950 mètres carrés est également classé au titre des Monuments historiques depuis 1994. Depuis 2015, L’Observatoire, une œuvre contemporaine de la plasticienne Caroline Bouissou, permet de décomposer et recomposer ce paysage multiséculaire.
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