Construite au milieu du XIXe siècle, la jumenterie du château du Lude (Sarthe), appelée haras de Malidor, fait désormais partie des projets soutenus par la Fondation du patrimoine. Un magnifique patrimoine équestre à découvrir… et à sauver.
Le XIXe siècle connait un grand engouement pour l’élevage des chevaux de course. Depuis 1815, l’ « anglomanie » – le plaisir de galoper en extérieur et de sauter des obstacles naturels – a remplacé l’art du manège si prisé au siècle passé. La société d’encouragement pour l’amélioration des races de chevaux a été créée en 1815 (sur le modèle anglais), les premières courses se déroulent à Chantilly en mai 1834, année de création du Jockey club français (sur le modèle du Jockey club anglais, créé en 1751). Les hippodromes se multiplient (Longchamp est construit en 1855), et la France compte 51 hippodromes en 1851 (236 en 2019). Les chevaux de pur-sang ont la faveur des élites.
Située en pays de Loire, face au château du Lude, dont les origines remontent au Xe siècle, le haras de Malidor est situé dans une région longtemps réputée pour l’élevage de chevaux qui compte, aujourd’hui encore, 2 700 naisseurs, soit 15 % de l’effectif français.
La jumenterie est construite entre 1846 et 1860, par le propriétaire du château du Lude, le marquis Auguste de Talhouët-Roy (1819-1884), député de la Sarthe entre 1849 et 1876, sénateur de ce même département entre 1876 et 1882 et ministre des Travaux publics en 1870. Le père de ce dernier, Auguste-Frédéric de Talhouët (1788-1842), maréchal de camp puis pair de France, était colonel des Grenadiers à cheval de la garde royale, donc un cavalier aguerri et amateur de chevaux.
Extrait du cadastre napoléonien. En bas à gauche, le bourg du Lude en rouge, avec le château figuré en noir, avec ses tours, tout près du Loir. La jumenterie (entourée ici en vert) est située de l’autre côté de la rivière, dans la boucle délimitant le parc agricole. © Archives départementales de la Sarthe Plan de la jumenterie établi en 1860. On distingue clairement la disposition en forme de marguerite des boxes. © Municipalité du Lude
Le haras de Malidor, spécifiquement dédié au poulinage, complète les deux autres haras des Talhouët-Roy, acquis par la suite : Sivase et les Sablonnets en 1864. Le haras des Sablonnets, un domaine qui s’étend sur 100 hectares au Lude dans la Sarthe, est toujours en activité. Sous l’impulsion d’Antoine de Talhouët-Roy, la 5e génération à la tête des Sablonnets, il est le plus ancien haras privé de France dont l’élevage (de pur-sang) n’a jamais cessé ; il bénéficie aujourd’hui d’une dimension internationale, avec une trentaine de poulinières. Quant au haras de Sivase, il est désormais une « annexe » du précédent.
Le nom de Malidor est lié à la plaine sur laquelle le haras est construit. Il s’agit d’un vaste espace niché dans la boucle du Loir, face au château, dont le nom remonte au Moyen-Âge. Asséchée au XIXe siècle pour devenir un parc agricole (i.e. un jardin typiquement français, inspiré du parc à l’anglaise, à vocation utilitaire et non de promenade comme chez nos voisins), elle a donné son nom aux constructions érigées sur son sol : la jumenterie, mais aussi une piste de course ou le pavillon Renaissance de Malidor.
Vue d’ensemble de la jumenterie avant sa restauration. Au centre, le pavillon du palefrenier. © Association CHAM Plan de la jumenterie. © Udap de la Sarthe
La jumenterie accueillait des juments de pur-sang, dont les produits étaient destinés à la course de galop. Un champ de course, qui n’existe plus aujourd’hui, faisait face aux haras, sur lequel se dresse encore une stèle où est enterrée Bougie, la jument préférée du marquis. Cette jument de pur-sang appartenait à Jacques de Brémond, un éleveur sans sol, ancien officier de Cavalerie. Elle avait été rachetée au baron R. de Barstard, après une carrière en course, longue et fructueuse à l’obstacle comme en plat : 55 sorties de 2 à 5 ans (dont 21 à 3 ans) pour 9 victoires. Confiée à Georges de Talhouët-Roy, amis de de Brémond, Bougie entamera une autre carrière en tant que reproductrice. Elle donnera naissance à de grands cracks, notamment Gardefeu, vainqueur du Prix du Jockey Club en 1898), du Prix Lupin l’année suivante, puis du Prix des Sablons (futur prix Ganay), second du grand Prix de Paris et du Prix Royal-Oak, etc.
Gardefeu, gagnant du prix du Jockey-Club le 22 mai 1989, est né au haras de Malidor. Tableau visible dans la galerie Equestr’art, à Luché-Pringé. © Equestr’art.com
Les bâtiments de la jumenterie1 sont visibles depuis le parc du château, on y accède depuis le chemin venant de la route de Vaas, par un portail bas en fer ouvragé qui témoigne de l’importance accordée à l’établissement. L’ensemble se compose de quatre boxes disposés en fer à cheval, enveloppant un petit bâtiment contenant une chambre à cheminée terminée en abside. Cette construction, selon le principe du plan panoptique, est inspirée de l’architecture carcérale qui permettait au gardien d’être logé dans une tour centrale et d’observer tous les prisonniers enfermés dans leurs cellules autour de la tour (et sans qu’ils sachent qu’ils étaient observés). Au centre de la jumenterie, le bâtiment du valet, percé de quatre baies en forme de meurtrières, permet de surveiller et de choyer les juments ; cette disposition donne, de surcroit, de très belles perspectives et enfilades de portes et fenêtres. Chaque box donne sur une cour arrondie conférant à l’ensemble la forme d’une marguerite. Les grandes portes cintrées des boxes sont flanquées de petites baies en plein cintre, reprenant le motif de la serlienne. Un comble à surcroit au-dessus des boxes permet d’engranger la nourriture. L’ensemble est construit en moellons enduits avec chainage en tuffeau ou en briques recouvert d’un faux appareil de briques peintes. Un puits se trouvait à proximité.
Abandonnés peu à peu après l’arrêt des activités de la jumenterie en 1962, les lieux ont été peu à peu envahis par la végétation. © Municipalité du Lude Chacun des quatre boxes donne sur une cour arrondie. État avant le début des restauration. © Municipalité du Lude Au centre de la jumenterie, le bâtiment du valet (ou palefrenier) est percé de quatre baies lui permettant de veiller facilement sur les juments.
La maison du valet n’est plus en fonction vers 1958 et la jumenterie cesse complétement ses activités en 1962. Les bâtiments servent de lieu de stockage pour le foin jusqu’en 1975, avant d’être abandonnés. Les lieux deviennent le terrain d’explorations sauvages, visités sans autorisation. Vers les années 2000, les murs se lézardent, la toiture s’effondre partiellement et la végétation envahit les lieux.
Le projet : sauvez la jumenterie du Lude et soutenez un chantier-école
« Aujourd’hui, l’état de l’intérieur de la maison du valet est inquiétant : la cheminée, le plancher, la charpente et la couverture en ardoise risquent de s’effondrer. Le reste des éléments intérieurs est dans un état de délabrement avancé mais n’entraine pas de défaut structurel. Concernant le sol, le carrelage est manquant à 80 % et la plupart des carreaux restants sont cassés. L’ensemble des murs est en mauvais état. » Le site appartient toujours au château du Lude, et donc à monsieur et madame de Nicolaÿ. Mais la mairie du Lude, via un bail de 99 ans, s’engage à le sauvegarder, notamment dans le cadre de sa candidature pour devenir une Petite Cité de caractère.
Après un premier travail de débroussaillage, une nouvelle phase s’opère avec la mise en place, à l’automne 2020, d’un chantier-école sur trois ans2, piloté par l’association CHAM (Chantiers histoire et architecture médiévales), à destination de volontaires du service civique et de bénéficiaires du programme d’insertion professionnelle PrépaRebond. Ce projet s’inscrit dans une démarche de dynamisation de la filière des métiers du bâtiment et de la restauration du patrimoine.
Les travaux de restauration permettront de garantir la conservation de l’ensemble de l’édifice et de redonner vie à ce site. Les matériaux utilisés pour la restauration seront fournis localement, afin de respecter l’histoire du bâtiment et de limiter l’empreinte écologique du chantier, mais aussi de répondre à une volonté d’inclure des artisans et partenaires locaux au projet tout en développant des emplois d’excellence sur le territoire. La jumenterie retrouvera ses tomettes, les maçonneries seront réalisées en moellons de calcaire, de même que les pierres de taille, calcaires elles aussi, notamment de type Tuffeau – pierre traditionnelle de la région.
La municipalité souhaite organiser, une fois les travaux terminés, des expositions et des animations culturelles autour des chevaux et des activités agricoles. L’objectif est de revaloriser ce patrimoine rural tout en redonnant à la jumenterie son aspect d’origine.
Niché dans une zone classée Natura 2000, le site a suscité l’intérêt de la Fondation du patrimoine et de la mission Bern, avant d’obtenir, en septembre 2020, son inscription à la liste complémentaire des Monuments historiques. Il est toujours possible de faire des dons pour participer à sa restauration : https://www.fondation-patrimoine.org/les-projets/la-jumenterie-du-lude
Je remercie infiniment M. et Mme de Nicolaÿ, Guy Henrot et Delphine Massart pour leur généreuse contribution à la bonne élaboration de cet article.
1 Sources : Inventaire des Monuments historiques, dossier numéro IA72001940.
2 Restauration complète, extérieure et intérieure, en plusieurs tranches. Tranche 1 (2020-2021) : essentiellement la maçonnerie pour mettre en sécurité́ le site – estimée à 273 000 € de travaux. Tranche 2 et 3 (2021-2023) : charpente et toiture (source : https://www.fondation-patrimoine.org/les-projets/la-jumenterie-du-lude).
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