Dans l’arrière-pays de Pézenas, au milieu d’un paysage paisible de collines et de vignes, le château de Cassan possède une majesté et une grâce à part. Issu d’un prieuré royal du XIIe siècle, devenu demeure privée après la Révolution, il n’a cessé de changer de propriétaire et de vocation. De ce passé mouvementé, le lieu conserve des stigmates qui contribuent aussi au charme de ce grand vaisseau en pleine renaissance.
Du prieuré originel seule subsiste une église romane du XIIe siècle. En 1066, d’après les recherches de l’historien Serge Sotos, six chanoines dissidents quittent le chapitre de la cathédrale de Béziers pour se retirer à Cassan. La famille Alquier, d’ascendance carolingienne, leur cède église et terres attenantes. La communauté monastique se développe très rapidement. Sous l’autorité du prieur Giraud, le futur saint patron de Béziers, elle s’attire les faveurs de l’aristocratie. Jouissant d’une grande renommée, elle règne sur vingt-six églises et possède plusieurs dizaines de propriétés. Grâce à ces richesses, l’église est rebâtie pour être consacrée en 1115, avec cloître, salle de chapitre, dortoir, réfectoire et bientôt un hôpital-hôtellerie. Abritant de saintes reliques, elle devient un lieu de pèlerinage et le prieuré, qui compte jusqu’à quatre-vingts chanoines, accueille la nécropole princière des vicomtes de Béziers.
Au fil de l’histoire
Du XIVe au XVIe siècle, traversant épisodes de peste, attaques de routiers et guerres de Religion, Cassan est rattrapé par l’histoire et subit plusieurs incendies. Excepté l’église prieuriale, les bâtiments conventuels sont rasés pour laisser place à l’édifice actuel, construit à partir de 1750. Malgré toute sa majesté, l’imposante demeure n’est que le reflet d’un lustre passé. Quand ils en sont chassés en 1790, les chanoines sont au nombre de cinq. Le prieuré et ses deux cents hectares de terres sont déclarés biens nationaux et vendus à Marc-Antoine Thomas Mérigueux, homme de paille du dernier prince de Conti qui y installe sa maîtresse, madame de Brimond.
« Sous la dénomination de château, Cassan change plusieurs fois de propriétaire et d’affectation. Il est transformé entre autres en cave viticole, explique Nathalie Augereau, qui assure les visites du site. Acquis par l’État durant la Seconde Guerre mondiale, l’ensemble est un temps utilisé comme centre d’apprentissage. De 1947 à 1975, il devient collège d’enseignement des arts ménagers avant d’accueillir en 1978 le centre de l’Agence nationale pour l’insertion et la promotion des jeunes travailleurs d’outre-mer. Il se retrouve ensuite dans le domaine privé, accueillant même un cirque. »
Vent nouveau
Son acquisition en 2003 par la société de promotion immobilière Sercib France gérée par la famille Lebel, signe enfin son renouveau. De manière à préserver le « grand paysage » du site et son environnement, objets d’une demande de classement, les propriétaires se rendent acquéreurs des terres alentour. Désormais, un vignoble est de nouveau rattaché au domaine. L’Association des amis du prieuré royal de Cassan apporte également sa contribution. Et le lieu est ouvert au public. « La famille Lebel s’est d’abord lancée dans la rénovation de l’église dont le sol était encore en terre battue. Des dalles de marbre avec un système de chauffage ainsi qu’un éclairage redonnent à cet espace toute sa beauté. À la suite de l’effondrement d’une noue en 2014, la charpente a été rénovée et la toiture du bâtiment principal, soit 1 000 mètres carrés, vient d’être refaite ainsi que les boules d’arêtiers en poterie vernissée, les boussoles centrales et les descentes d’eau pluviale. Outre les visites, le château accueille des expositions d’art contemporain, des concerts et un marché de Noël à l’anglaise », détaille Nathalie Augereau.
L’entrée se fait par la cour d’honneur qui, autrefois, constituait le jardin du cloître. Les étages, pour raison de sécurité, ne se visitent pas. Et le parcours s’organise au rez-de-chaussée à travers une série de pièces qui donnent sur la galerie de l’ancien cloître. Herboristerie, cuisine, bibliothèque et salon de musique évoquent l’histoire des lieux et les fastes d’antan. « Certains plafonds ont conservé leurs moulures. Le parquet du grand salon en point de Hongrie date du XVIIIe siècle. Il est classé, tout comme les boiseries sculptées de décors végétaux qui calepinent les murs de la salle à manger d’été. Les cheminées de marbre également, dont celle de la salle des évêques en griotte rouge du Minervois, ont traversé le temps. Pour le reste, tout est scénographié, indique Nathalie Augereau. Les différentes occupations du château ont modifié les lieux, au détriment des vestiges historiques. Quand l’église est devenue cave viticole, par exemple, la base de chaque pilier a été cassée pour installer les cuves, les parois percées de trous pour supporter escaliers et coursives. » Des dégâts irréparables qui disent l’histoire du site et ses vicissitudes.
La façade ouest de l’église, plusieurs fois remaniée, raconte près de mille ans d’histoire. Ici, elle est en partie masquée par celle du bâtiment central du château-abbaye. Une terrasse bordée d’une magnifique rambarde en fer forgé longe l’ensemble des bâtiments. Murée au XVIIIe siècle, cette Vierge à l’Enfant (premier quart du XIIe siècle) surmonte la porte d’accès à l’église, dans l’aile sud du cloître. Elle a été mise au jour et nettoyée en 2007. Des prélèvements ont mis en évidence la présence d’aérinite. Très utilisé entre la fin du XIe et le début du XIIe siècle, ce pigment d’origine minérale, que l’on trouve uniquement en Espagne et en Italie, a été identifié dans les célèbres décors muraux de l’église Santa Maria de Taüll et d’autres églises romanes de la Vall de Boí (Espagne).
Malgré les cicatrices de l’histoire, le charme de Cassan opère. La façade ouest, couronnée dans sa partie centrale d’une balustrade et de pots à feu, se déploie, grandiose et majestueuse, sur 80 mètres de long. L’élégance de son architecture classique, son aspect rectiligne valent à ce palais religieux son surnom, partagé avec bien d’autres demeures, de petit Versailles du Languedoc. « Ce cadre incite à la contemplation et à la méditation, commente Nathalie Augereau. En été, sur la façade, le soleil se joue des couleurs des pierres de grès et de calcaire coquillier. »
La galerie avec un escalier à voûte plate et ses travées de fenêtres sous voûte offre de superbes perspectives ainsi qu’une vue traversante de la cour d’honneur jusqu’aux jardins. Et lors de la réalisation d’une issue de secours, en 2007, les travaux ont mis à jour une fresque caractéristique de l’art byzantin, datant du premier quart du XIIe siècle. Quant à l’église romane, elle frappe par ses dimensions impressionnantes, 16 mètres de hauteur pour la clé de voûte, 11 de large, 40 de long, soit une envergure exceptionnelle. Quatre colonnes s’ornent encore de chapiteaux primitifs proéminents, comme dans l’église Saint-Ruf à Avignon.
Une part de mystère
Son clocher en forme de lanterne avec six fenêtres est peu commun également. « D’après la tradition, une lumière y était allumée pour guider le pèlerin. Une autre version prétend qu’on y plaçait un brûlot lors du décès d’un chanoine. Et ses ajournements géométriques auraient représenté les astres au Moyen Âge. »
Du fait de son mauvais état, ce clocher reste inaccessible. « Pour rénover entièrement le site, la tâche est titanesque. L’eau qui alimente un ancien vivier au fond du jardin est recueillie par un puits artésien situé de l’autre côté du château, dans la cour d’honneur. Un aqueduc souterrain qui passe sous le bâtiment permet de l’acheminer. Il faudrait y nettoyer les limons qui s’accumulent mais, au-delà, des études devraient être mises en chantier pour mieux connaître ce patrimoine. À l’étage, plusieurs cadrans solaires occultés par un conduit de cheminée mériteraient, a minima, de faire l’objet de recherches. Un cimetière qui dépendrait de l’hôpital a également été découvert avec des ossements de femmes et deux coquilles placées au niveau de l’épaule et la hanche. Cela pourrait sous- entendre que le prieuré et son hospice étaient situés sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle », raconte Nathalie Augereau.
Voilà toute la magie de Cassan, lieu à part, entre sacré et profane, implanté sur la commune de Roujan, mais offrant sa plus belle vue à celle de Gabian. Négligé par l’histoire, il conserve une part de mystère qui laisse la porte ouverte à bien des possibles.
© VMF/MAP