Encadrant le château Renaissance, l’architecture végétale révèle la beauté de la pierre. Labellisé « Jardin remarquable » en 2004, cet ensemble élégant offre le spectacle délicat de pièces de verdure aux couleurs changeantes.
Des pariétaires, des fougères, des mousses, la nature s’invite dans les pierres ocre d’un ancien mur d’enceinte. Au pied d’un chemin de ronde endormi, des douves sèches, aujourd’hui engazonnées, conduisent à une porte oubliée ouvrant sur la rivière. Brune, sombre, argentée, la Vézère s’écoule, paresseuse, devant la grande et élégante terrasse du château de Losse qui, posé sur un arc de pierre, la surplombe magistralement. Un champ de noyers, une allée de tilleuls, des cascades de lierre qui plongent des murailles jusqu’à l’eau, la brume qui enveloppe doucement le paysage au lever du jour… Le temps semble sans importance dans cette vallée de l’Homme où, à quelques kilomètres, Lascaux raconte l’histoire des siècles enfouis.
Hors du monde, le site est à lui seul un jardin, un écrin délicat pour cette élégante demeure Renaissance aménagée en 1576 par Jean II de Losse dans les murs de l’ancienne forteresse bâtie par ses ancêtres au XIe siècle. Fidèle serviteur des derniers Valois, tuteur d’Henri IV, ce grand stratège proche de la Couronne vient d’être nommé gouverneur du Limousin et du Périgord et lieutenant général de la Guyenne. Un glorieux retour sur les terres familiales. Mais Jean de Losse est aussi esthète et poète à ses jours. L’Italie, la Renaissance, l’air du temps… Ainsi revoit-il le Grand Logis, à l’antique, au goût du jour, le parant d’un décor raffiné mais sans ostentation. Et le maître des lieux, homme de guerre et de Cour, « vénéré comme l’un des plus braves et plus vertueux gentilshommes de son temps », de graver ses pensées dans la pierre.
Une tonnelle de glycine ménage un passage ombragé vers le chemin de ronde, décoré de buis et tapissé de rosiers. © Jardin de Losse Depuis le premier étage du château, le jardin hors les murs dévoile la géométrie de son tracé et la beauté de ses topiaires. Au-delà, le paysage se fait champêtre, ouvrant sur un verger qui s’étend sur une prairie, le long de la rivière. © Jardin de Losse Mariage de la lavande et de la santoline. © Jardin de Losse
Telle cette devise sur un fenestrage de la tour Sainte-Marguerite : « Quoique sans ailes, je gagne des régions aussi élevées que celles des oiseaux ». Montaigne n’est pas loin… Reste que la prudence est de mise. Les guerres de Religion ne sont pas apaisées. Aussi, pas question de toucher aux éléments défensifs, pont dormant, échauguettes, créneaux, tours et tourelles, ni à l’imposant châtelet qui garde l’entrée. Losse demeure une forteresse, un monde clos mais ouvert à la lumière et à la poésie.
Château de conte de fées
Au lendemain de la Révolution, ce fleuron du Périgord passe de mains en mains jusqu’à celles de l’ex-empereur d’Annam Ham Nghi puis dans celles de sa fille, la princesse Nhu May. Sortie première de sa promotion de l’Institut agronomique de Paris (elle est aussi l’une des premières Françaises à devenir ingénieure agronome), elle transforme le domaine en exploitation agricole et cultive du maïs, sans trop se soucier de l’architecture. À sa mort, la propriété est cédée à un marchand de biens dont le projet est de lotir une partie des terres. Le château est menacé par la construction d’une centaine de pavillons. La mort annoncée du site. Neuf ans d’incertitude, de déshérence et d’abandon livrent Losse à la désolation. Mais la beauté des lieux demeure.
« Il y a quarante ans, lorsque nous sommes arrivés, tout s’effondrait, la toiture en lauze, l’arc surplombant le pont-levis, l’accès à la rivière, les murailles des douves. Le parc était dévoré par les ronces, on n’en distinguait plus les limites. Cela ressemblait à un château de conte de fées », se rappelle Jacqueline Van der Schueren, qui veille toujours sur la demeure et ses jardins.
Entouré de communs et séparé du Grand Logis par une charmille, il offre tout au long des jours et des saisons de somptueux dégradés de gris, d’ombre et de lumière. Lavande, romarin et santoline se partagent le dessin d’une immense croix de verdure traversée par un ruisselet dont des cyprès marquent le cadre. Du haut de l’ancien chemin de ronde qui regarde de l’autre côté les douves vertes, l’effet visuel est plus saisissant encore. Là, des créneaux de buis enserrant des népétas évoquent les créneaux appareillés qui coiffaient autrefois les remparts. Soulignant les murs de pierre sèche, des rosiers ‘Ghislaine de Féligonde’ offrent des fleurs tendres jusqu’aux premiers jours de l’automne.
Au delà des douves qui gardent l’ancienne place forte, des chambres de verdure dans l’esprit du XVIe siècle ont été créées. © Jardin de Losse Plantés de part et d’autre d’un chemin d’eau, quatre massifs de lavande encadrés par des banquettes de romarin rappellent la symbolique de l‘Hortus conclusus. © Jardin de Losse
Menée par des regards d’esthètes, une restauration exemplaire efface année après année les outrages du temps. Reste à parfaire l’élégance du Grand Logis en lui redonnant ses lettres de noblesse : ses jardins, recréés en place d’aménagements mentionnés dans un ancien plan des Eaux et Forêts. Un relevé de la Vézère fait référence, sous une sorte d’inventaire, à des carrés de légumes et d’arbres fruitiers. « J’ai voulu évoquer l’esprit du XVIe siècle en traçant des jardins juxtaposés comme on en voit en Italie, poursuit Jacqueline Van der Schueren. Ainsi, dans l’enceinte du bastion, le Jardin bas est une charmante interprétation de l’Hortus conclusus, le jardin enclos du Moyen Âge.
Architecture végétale
Losse est un jardin choyé, conçu pour vivre en harmonie avec l’architecture, la souligner, la servir. Des marches de buis prolongent celles d’un escalier émoussé. Des grappes de raisin mûrissent sur une pergola évoquant la voûte d’une chapelle disparue. Dans la cour d’honneur, posé sur un lit de castine, un figuier centenaire garde d’un côté l’entrée du Grand Logis et de l’autre celle du châtelet, la monumentale porte défensive de l’ancienne place forte qui ouvre par-delà les fortifications sur la campagne et un autre jardin.
Là, aux pieds des murailles infranchissables, des chambres de verdure ont pris place sur une ancienne terrasse. Architecture végétale, ces pièces invitent à un parcours labyrinthique qui court le long de chemins de gazon. Çà et là, des fenêtres encadrent le regard. Révélant ici la chaleur des pierres ocre du château qui surplombe les douves. Soulignant la quiétude d’un verger où des paillassons de feuilles mortes encerclent les pieds des arbres. Cistes, agapanthes et céanothes accompagnent la promenade jusqu’à une balustrade ouvragée en bordure de falaise. Aux pieds de cet à pic vertigineux serpente la Vézère aux eaux obscures et mystérieuses qui, tel un miroir sans fin, conte jour après jour la beauté racée de ce lieu magique.