Situé dans le sud de l’Oise, le château de Mont-l’Évêque incarne une demeure unique en son genre, dont le style troubadour a presque été poussé jusqu’à son paroxysme. Propriétaire des lieux depuis le Premier Empire, la famille de Pontalba a bien l’intention de restaurer cet incroyable édifice.
Depuis deux cent seize ans, le nom des Pontalba est lié de manière consubstantielle au château de Mont-l’Évêque. C’est en janvier 1807 que la famille, qui a fait fortune dans l’immobilier et le commerce en Louisiane, s’installe dans ce domaine qui fut à l’origine la thébaïde champêtre des évêques de Senlis. Vendue comme Bien national en 1791, la propriété est rachetée par Joseph Xavier Delfau de Pontalba. Mitoyenne du parc d’Ermenonville, où Jean-Jacques Rousseau avait coutume de flâner, elle s’étend sur plus de soixante-dix hectares.
Cette décision ne doit rien au hasard car les Pontalba ont choisi d’associer leur destin aux Bonaparte. Nichée dans un écrin de verdure à proximité de la rivière Nonette, leur nouvelle demeure est, à l’époque, idéalement située politiquement parlant, entre Paris et Compiègne, lieux de villégiature de la cour impériale. Elle se trouve aussi à quelques encablures de Mortefontaine, où Joseph, le frère aîné de Napoléon, dispose d’une résidence. Joseph Xavier est fait baron d’Empire. Son fils Célestin, d’abord page de l’Empereur, sert comme aide de camp du maréchal Ney pendant les campagnes d’Espagne et du Portugal.
Reflet de la réussite économique et sociale de la famille, le château de Mont-l’Évêque, érigé sur les fondations d’une ancienne forteresse médiévale, se métamorphose, tout au long du XIXe siècle, au fil des aménagements et des agrandissements, en folie de style « troubadour ». Plutôt austère, l’édifice est réinventé, paré d’ornements et de balustrades en dentelle de pierre, façon néo-gothique, décor digne de la Belle au bois dormant de Charles Perrault. À l’extérieur comme à l’intérieur, la Renaissance guide les travaux, où sont ajoutés un vestibule, un escalier d’honneur et une cheminée monumentale, figurant la légende de saint Hubert, copie du linteau de la chapelle du château d’Amboise.
La fantasmagorie architecturale perd son lustre au milieu des années 1970, période à partir de laquelle elle n’est plus habitée pendant deux décennies. Laissée à son sort, elle est la proie de maraudes et de cambriolages qui entraînent la disparition d’un grand nombre de meubles précieux, de sculptures et de tableaux. Le reste est victime des morsures de l’humidité.
Il faut attendre 1992 pour que les Pontalba réinvestissent les lieux, avec la ferme intention de les restaurer. La « maison », comme la famille a l’habitude de la désigner, est très mal en point : une partie de la toiture est crevée et des infiltrations d’eau ont endommagé de nombreuses pièces. Afin de rendre habitable une partie du château, le réseau électrique est refait à neuf, comme la majeure partie de la couverture. Le chauffage et la plomberie sont modernisés. « Il reste énormément à faire », admet Pierre de Pontalba, l’un des représentants de la dernière génération.
Passionné par la saga familiale, Pierre de Pontalba parle avec flamme des pièces qui ont survécu aux vicissitudes du temps. Datant du XVIIIe siècle, les tapisseries, réalisées d’après des cartons d’Antoine Coypel, peintre spécialiste des sujets mythologiques et très prisé par la maison d’Orléans, représentent des scènes de l’Ancien testament. L’une d’elles représente Tobie rendant la vue à son père, l’autre l’histoire de Jacob et Laban. « Très bien conservées contre toute attente, elles font partie des choses que je préfère ».
Le joyau intérieur reste toutefois la bibliothèque. Toute en trompe-l’œil, elle conserve les collections familiales, enrichies de ses plus beaux spécimens lors d’une alliance avec les Firmin Didot, dynastie d’éditeurs et d’imprimeurs. « La pièce résume très bien la maison. C’est un pur décor de théâtre : le lustre, la cheminée, les moulures et le bois sont en plâtre peint. On est transplanté au XIXe siècle, avec le mobilier d’origine s’agissant des chaises et de la table. C’est le clou de la visite, elle a toujours son petit succès ».
Pierre de Pontalba porte un regard lucide sur les erreurs du passé. « Mes aïeux étaient de nouveaux riches qui ont voulu impressionner, mais les constructions ont été faites en dépit du bon sens, avec des plans sans queue ni tête, et des matériaux de mauvaise qualité. La hauteur est l’un des problèmes. Un étage a été ajouté sur une structure qui n’était pas prévue à cet effet et qui n’a pas été renforcée. Et des projets prévoyaient même de tripler encore le volume du château ! »
Par exemple, l’ajout d’une quatrième tour par souci de symétrie. Reposant sans fondations sur un sol meuble, elle s’affaisse progressivement vers l’ancien étang qui borde l’édifice en contrebas. Sa façade, lézardée par les fissures, en témoigne de façon cruelle. Faire renaître la chapelle est un autre dossier digne des travaux d’Hercule. Construite en 1850 avec des pierres provenant du jubé de l’hôtel des Grands-Carmes de Metz, elle a subi de terribles outrages. « À l’époque, l’esthétisme a primé sur la durabilité. La chapelle a été conçue sans contreforts côté terrasse. Résultat, la façade s’effondre ». Grâce à l’aide des VMF, de la Fondation pour la sauvegarde de l’art français et d’une campagne de financement participative, des étais ont été posés en 2016, empêchant l’irréparable.
« Il y a tellement à faire qu’il est bien difficile de savoir quelle est l’urgence prioritaire pour la sauvegarde de la maison », reconnaît Pierre de Pontalba, pourtant résolu à ne pas rester les bras croisés : « cet empilement sans grande logique fait sa singularité. Ce château est unique et l’on ne trouve son équivalent nulle part ». Les propriétaires se démènent pour trouver des solutions. Jamais fait jusqu’ici, un diagnostic complet du bâtiment, inscrit partiellement aux Monuments historiques, est programmé. Et les idées ne manquent pas pour redonner une nouvelle raison d’être au château de Mont-l’Évêque, qu’il s’agisse de réhabiliter les anciennes écuries — qui abritèrent jusqu’à cent chevaux de course — en appartements, tout en respectant l’esprit des lieux, d’accueillir des activités économiques, ou d’en faire un point d’attraction du tourisme local.