Cèdres du Liban, séquoias géants, cyprès chauves de Louisiane ou encore tulipiers de Virginie se partagent les 19 hectares de ce remarquable parc paysager dominant le mont Saint-Michel. Un paradis terrestre conçu par Bernard Legal et Iñaki de Goiburu et qui plonge ses promeneurs dans le romantisme du XIXe siècle.
Implanté à Bacilly (Manche), entre Granville et Avranches, le site de Chantore se compose d’un château de la fin du XVIIIe siècle et d’un parc du XIXe. Cet été, les rhododendrons pontiques colorent les jardins de rose, et les hortensias sont en fleurs. Si le parc compte une végétation luxuriante et regorge d’essences d’arbres exceptionnels, la faune y trouve aussi sa place. « On laisse s’exprimer la biodiversité dans le parc », explique Bernard Legal. Les promeneurs peuvent croiser des chevreuils, des cormorans, des blaireaux, des renards et des paons. Mais aussi des chevaux Frisons qui pâturent dans quatre hectares du parc, ou encore des moutons, broutant l’herbe de la pommeraie. En faveur d’un partenariat avec le GONm (Groupe ornithologique normand) pour le comptage et l’identification des populations ornithologiques, le parc accueille également un refuge pour les oiseaux. Par ailleurs, douze ruches ont été installées dans le domaine, permettant aux abeilles, maillons indispensables à la protection de la biodiversité, d’assurer la pollinisation du site.
Mais ce havre de paix n’échappe pas aux effets du réchauffement climatique. « Nos résineux des montagnes, les épicéas et les cyprès, sont les premiers à souffrir de la chaleur », se désole Bernard Legal. Planter des espèces végétales et des arbres adaptés au climat est la stratégie de résilience adoptée par les propriétaires du domaine. Des essences exotiques, huit séquoias, et des essences de Normandie, châtaigniers et hêtres, ont donc été choisies pour conserver l’équilibre des écosystèmes. On remarque également que certains endroits du parc sont parfois laissés en friche. Renoncer à tondre le gazon de façon uniforme et ras le sol permet aux propriétaires de lutter contre la sécheresse. « On veut aussi montrer à nos 5 000 visiteurs comment le paysage peut évoluer face au changement climatique ».
Le château, construit par le seigneur de Chantore en 1780, dont il porte le nom, est bâti spécialement sur une butte pour admirer le mont Saint-Michel. Un temps abandonné par la famille du seigneur, la demeure est vendue en 1813 à Auguste Angot, député de l’Avranches qui revient d’un voyage aux États-Unis. Il transforme le parc agricole initial en parc paysager à la mode. Mais c’est à l’initiative de Georges Genreau, exerçant comme avocat général à la cour de Paris, qu’en 1868 le parc et le château connaissent une véritable métamorphose. Pour le château, une aile est ajoutée au sud, ainsi que des éléments de style néo Louis XIII. Par exemple, la couleur ocre rouge de la pierre a été choisie pour sa complémentarité avec le vert de la végétation. Le maître des lieux inaugure une vaste campagne d’aménagement du parc, avec notamment la construction de fabriques : captation de la source, construction d’une tour réservoir, de canalisations, créations de cascades, d’une rivière, d’un lavoir, des jardins du bas, des lacs et d’une grotte.
Cela fait dix ans déjà que Bernard Legal et Iñaki de Goiburu, deux parisiens amoureux du XVIIIe siècle, ont acheté le domaine et l’ont restauré avec respect. « Nous avons acheté le château en bon état, mais il restait dans son jus. Nous avons entrepris des restaurations extérieures et intérieures et l’avons meublé avec notre collection personnelle ». Puis ils décident d’ouvrir des chambres d’hôtes. « Pour nous, la vie de château c’est être au service de celui-ci et de son parc, sans vraiment en jouir, et en y consacrant tout notre temps ». En 2016, ils ouvrent au public le parc paysager, qui a été labellisé Jardin remarquable en juin 2021. Les propriétaires ont souhaité conserver le parc comme il était à l’origine.
L’expression du romantisme associé à la recherche de l’exotisme
Après avoir emprunté une allée bordée de rhododendrons, nous franchissons la grille principale qui conduit à un château de style Louis XIII, mêlant brique, granit et ardoises. Sur le domaine, on découvre, non loin de la demeure, les anciennes écuries avec leurs stalles ornées de têtes de chevaux, et le garage des calèches, datant de Napoléon III. La visite se poursuit avec le pressoir à pommes et la maison du fermier, ouvrant la promenade du parc par une rivière sinueuse parsemée de cascades et de plans d’eau, dont deux lacs, l’un traversé par un pont en rusticage imitant le bois, l’autre par un pont à l’impérial, laqué de rouge. Mais où sommes-nous ? Les éléments qui nous entourent nous donnent l’impression d’être dans un parc japonais, avec ses belles cascades et ses ponts suspendus.
Des variétés exotiques venues du monde entier attirent notre attention tout au long des cheminements qui bordent le château, tel que ce cèdre du Liban âgé de plus de 200 ans, ce séquoia géant, ces ginkgo biloba, un bosquet d’hêtres pourpres, dix cyprès chauves de Louisiane, ce tulipier de Virginie planté au XVIIIe siècle, ce cèdre à encens, ces platanes d’Orient et ou encore ces noyers d’Amérique. Dans ce parc romantique de 19 hectares, camélias, rhododendrons centenaires, azalées, hortensias et bambous côtoient lauriers palme et pommeraies. « C’est un parc paysager que l’on dit inspiré de l’œuvre des frères Bühler », rappelle les propriétaires. « Mais nous ne perdons pas espoir de détenir un jour une preuve que le parc a bien été dessiné par les célèbres frères paysagistes ».
Célèbres pour leur style paysagiste, Denis (1811-1890) et Eugène (1822-1907), tous deux fils du pépiniériste Jean-Daniel Bühler, ont marqué leur temps par la composition de leurs jardins publics, devenant le modèle officiel sous le Second Empire. Une centaine de parcs et jardins leur sont attribués, dont l’un des plus connus, le parc de la Tête d’Or, à Lyon. Les deux hommes travaillent à la fois pour l’élite politique et la noblesse (les familles La Rochefoucauld, Villeneuve, Puyvallée, Lassus, Mallet…), que pour les notables locaux, ou encore des commandes publiques (Lyon, Bordeaux, Tours, Marseille, Bayeux, Béziers, Rennes). Conçu à l’époque des frères Bühler, le parc de Chantore réunit de nombreuses caractéristiques du style des célèbres paysagistes : des scènes ouvertes ou dissimulées, comme les ruisseaux, les vallons et la lumière naturelle. Le mouvement des sols est également une autre particularité du parc, comme en témoignent les allées soignées qui mènent le promeneur à des scènes pittoresques, les pentes et les nombreuses percées visuelles permettant d’entrevoir la demeure.
Avec une centaine d’espèces végétales et des espaces aux aménagements harmonieux, le parc peut être perçu comme un élément patrimonial à part entière, constitutif de l’ensemble du domaine. Bernard Legal et Iñaki de Goiburu se sont donné la mission de conserver ce parc paysager associant différentes atmosphères. Mêlant la rêverie, l’évasion, l’intime et le pittoresque, le parc de Chantore est considéré comme un lieu romantique, dont la conception s’inscrit dans ce mouvement littéraire et artistique né à la fin du XVIIIe siècle et qui prendra son essor au XIXe siècle. L’eau, les fabriques et les vallons sont les principaux éléments qui contribuent au charme du parc.
La Tour hantée, située à moins d’une centaine de mètres du château, cache une prouesse technologique s’inscrivant dans le courant des théories hygiénistes apportées dans le domaine de l’urbanisme : le système du bélier hydraulique, inventé en 1797 par Joseph-Michel Montgolfier, permet de fournir le château en eau courante. La tour n’est pas seulement objet d’inventivité dissimulant un mécanisme et s’intégrant au paysage. Son esthétisme médiéval à l’aspect de ruine romantique correspond également à un autre courant, celui des romans gothiques qui, entre 1764 et 1830, comme Frankenstein de Mary Shelley, devaient terroriser ici les promeneurs. Au pied de la tour se trouve une grotte à l’allure de temple Inca, avec des pentagrammes inscrits sur la roche, renvoyant au spiritisme et à ses pratiques nées aux États-Unis, en 1848, et importées en Europe.
N’oublions pas l’eau, élément fondamental de la vie à Chantore. Elle représente le cycle de la naissance à la mort. C’est au cours du XIXe siècle que l’on observe un véritable tournant dans la manière de créer les jardins et les parcs publics. Au fur et à mesure, l’eau s’émancipe des codes architecturaux et des formes géométriques du XVIIe siècle, revenant à sa condition première, à savoir ruisseaux, étangs, lacs et cascades.
À l’emplacement le plus élevé du domaine, une source a été creusée sur une colline, créant ainsi une mare au diable. De là, dans un vallon entre deux coteaux, s’écoule une rivière à l’anglaise, d’une centaine de mètres et jonchée de quatorze cascades, dont une de trois mètres. Une fois traversé le vallon, la promenade continue avec la découverte de deux lacs, le premier — le plus petit — est caractérisé par un pont en rusticage, et le second est doté d’un îlot, relié à la berge par un pont à l’impérial. Un paysage idyllique qui offre aux promeneurs un grand voyage sans partir au bout du monde, le temps d’une balade d’une heure et demie.
Cette année, le parc du château de Chantore a d’ailleurs obtenu le label “Arbre Remarquable de France” pour son camelia bicentenaire. Un parc qui n’a pas fini de vous surprendre !
Parc de Chantore – Ouvert de mai à septembre, tous les jours de 14H30 à 18H30