À une quarantaine de kilomètres de Paris, au nord-ouest du Hurepoix, le château du Marais, construit au XVIIIe siècle par l’architecte Jean-Benoît-Vincent Barré, ravit le regard par l’harmonie de ses proportions comme par la majesté de son imposant miroir d’eau. Acquis à la fin du XIXe siècle par Anna Gould, riche héritière américaine, mariée en secondes noces avec un Talleyrand, il appartient aujourd’hui à deux de ses petits-enfants.
Au milieu d’une vallée occupée par de vastes forêts domaniales et de champs de céréales, le château du Marais est une somptueuse apparition. Devant la grille de la cour d’honneur, un miroir d’eau, alimenté par une source cachée dans le parc, s’étire sur plus de 500 mètres. Le reflet de la façade ouest impressionne un héron venu s’y mirer avant de s’envoler, majestueux. L’eau est omniprésente au Marais – la Rémarde, une rivière, traverse le parc de part en part –, mais la présence de douves autour de ce château de style Louis XVI peut toutefois surprendre le visiteur.
Depuis Ancel de Saint Yon, premier seigneur du Marais au XIIIe siècle, plusieurs châteaux se sont succédé ici. Les douves, mais également le colombier, les cachots et un souterrain, évoquent encore ces constructions médiévales. Un troisième château fut construit vers 1620 par les Hurault, possesseurs de la seigneurie du Marais du XVIe au XVIIIe siècle, à l’origine également des premières plantations du parc. Les platanes d’Orient, grands arbres trapus aux larges frondaisons, contemplent ainsi des siècles d’histoire apaisée, le Marais ayant été épargné sous la Révolution et pendant la dernière guerre.
Un chef-d’œuvre de l’architecte Barré
Trésorier général de l’artillerie et du génie, Jean Le Maistre de la Martinière, qui avait acquis une fortune considérable dans le commerce des toiles avec les Flandres, acquiert le domaine du Marais en 1767. Il fait appel à l’architecte Jean-Benoît-Vincent Barré pour raser l’édifice existant, bâti au XVIIe siècle, et fait construire un nouveau château à l’extrémité orientale de la plateforme entourée de fossés en eau. L’importance des travaux, qui se déroulent de 1772 à 1779, les sommes considérables dépensées – un montant qui avoisinerait les 2 millions de livres – ne manquent pas de susciter les commentaires de la part de ses contemporains. Ironique, le marquis de Bombelles note ainsi dans son Journal que Jean Le Maistre « s’est laissé aller à bâtir un château qui pourrait suffire à un prince de sang royal ».
L’harmonie des proportions pensées par l’architecte Barré enchante en effet l’œil de l’amateur comme celui du connaisseur. Ainsi la façade ouest, sur la cour d’honneur, est parfaitement symétrique. Elle comprend en sa partie centrale un portique composé de quatre colonnes doriques d’ordre colossal, surmonté d’un attique sommé d’un fronton et d’un dôme à quatre arêtes rappelant celui de l’École militaire imaginé par le célèbre architecte Gabriel. La façade se creuse en son centre d’un péristyle inspiré des modèles palladiens par lequel un escalier à double volée donne accès à l’étage noble. Dans le péristyle ou vestibule des colonnes, deux statues à la grecque occupent les niches latérales : Artémis agrafant son manteau au sud, et Aphrodite drapée au nord.
Traitée de manière plus conventionnelle que la façade antérieure, celle qui donne sur les jardins s’organise autour d’un avant-corps central rythmé par des pilastres colossaux d’ordre composite. Enjambant le fossé en eau, une petite galerie fermée relie le château aux communs groupés autour d’une cour latérale.
Sur la façade est, ouvrant sur le jardin, les colonnes sont remplacées par des pilastres d’ordre composite et le dôme carré par un toit en pavillon aplati, donnant un aspect beaucoup plus classique. Au nord du château, un élégant pont vitré à deux niveaux enjambant les anciennes douves mène aux communs. Distribués en fer à cheval autour d’une basse cour, les bâtiments anciens ont été conservés mais modernisés et unifiés.
Un hôtel particulier à la campagne
Le château du Marais compte près de 100 pièces, dont trois appartements d’honneur et douze chambres ou appartements pour les invités. Simple et élégant, l’intérieur du Marais, qui n’a d’ailleurs pas beaucoup bougé depuis le XVIIIe siècle, évoque davantage un hôtel particulier à la campagne qu’un château, selon Anna de Bagneux, propriétaire des lieux avec la femme de son frère, Charles-Maurice de Pourtalès, aujourd’hui décédée. À gauche du péristyle, se trouve la salle à manger, intéressante par son poêle en canéphore, ses fontaines en appliques et ses médaillons. Les dessus-de-porte représentent des bacchanales et des jeux d’enfants que l’architecte du patrimoine Régis Martin, qui a réalisé une thèse sur le Marais, rapproche des bas-reliefs réalisés par le sculpteur Clodion dans la cour de l’hôtel de Bourbon-Condé, édifié entre 1781 et 1782 par l’architecte Brongniart pour le prince de Condé, rue Monsieur, à Paris.
Dans la grande salle à manger au décor d’inspiration néoclassique, un poêle en terre cuite orné de bas-reliefs et surmonté d’une canéphore s’inscrit dans une niche encadrée de pilastres. Mariant stuc et faux marbre, le plafond du Grand Salon décline toute une variété de motifs fortement inspirés de l’antique : frises d’oves et d’entrelacs, corniche à godrons et grands médaillons à décor de feuillages. Dans la chambre d’Adélaïde de La Briche, un lit à la polonaise est drapé du même tissu à ramages que celui qui tapisse les murs. Une copie du portrait de Louis XVI, par Duplessis, semble veiller sur ce décor contemporain de la fin de l’Ancien Régime.
Le Grand Salon, situé au centre du bâtiment, est exemplaire de la riche ornementation des pièces de réception. Véritable salon italien avec des décors en stuc de grande qualité, il est orné de 24 colonnes dans le style ionique grec, qui lui donnent son aspect monumental. La finesse des rinceaux déployés au plafond et les corniches sont remarquables. Les miroirs opposés encadrés d’arcades et les allégories des quatre saisons du dessus-de-porte sont des formules courantes de l’époque. Cette pièce imposante, dont les parquets ont été foulés par nombre de convives invités aux prestigieux bals donnés au Marais, est entourée de deux petits salons. À gauche, le Salon bleu donne sur la chambre puis le boudoir d’Adélaïde de La Briche, née Prévost (1755-1844), devenue propriétaire du Marais à la mort de son oncle, Jean Le Maistre de la Martinière. À droite, se trouve le Salon rouge et à l’extrémité du bâtiment, la chapelle, totalement réalisée en trompe-l’œil.
Une héritière américaine s’éprend du Marais
Le dandy et homme politique Boniface de Castellane, surnommé Boni, emmène un jour sa femme, la riche héritière américaine Anna Gould, au Marais. « Ma grand-mère est tombée amoureuse de l’endroit », raconte Anna de Bagneux. En 1899, la comtesse Boniface de Castellane achète le château à la duchesse de Noailles, arrière-petite-fille de Madame de La Briche. Une campagne de restauration de l’édifice, inoccupé pendant plus de dix ans, est menée durant plusieurs années par l’architecte Ernest Sanson, qui avait déjà œuvré au Palais Rose, hôtel particulier aujourd’hui disparu que les Castellane s’étaient fait construire à Paris, avenue du Bois (aujourd’hui avenue Foch). Cette campagne comprend, à l’extérieur, la réfection de l’angle sud-ouest du château, des communs et du pavage et parapets de la cour d’honneur et, à l’intérieur, la restauration des planchers et parquets du Grand Salon, l’aménagement des cinq salles de bains en mosaïque et des cuisines dans le château.
Et, à partir de 1903, le paysagiste Achille Duchêne, à qui l’on doit la restauration de la plupart des jardins attribués à André Le Nôtre, recrée à la demande de Boniface de Castellane un jardin à la française à l’arrière du château. Certaines allées sinueuses du temps du jardin anglais de Madame de La Briche retrouvent ainsi le tracé rectiligne qui était le leur au XVIIIe siècle. Côté sud, une grotte de rocaille imaginée sous le Second Empire par le comte de Choulot selon les goûts romantiques de l’époque est encore visible aujourd’hui.
Cultiver inlassablement l’esprit des lieux
En 1906, Anna Gould divorce de Boniface de Castellane mais conserve le Marais. Elle épouse en secondes noces le cousin de son ex-mari, Hélie de Talleyrand-Périgord, prince de Sagan, descendant d’Archambault de Talleyrand-Périgord, l’un des frères du célèbre homme d’État et diplomate. Pour rendre hommage à cet illustre ancêtre, leur fille, Violette de Talleyrand, qui a également poursuivi le travail de restauration du château entamé par sa mère, a créé un musée dans les communs. Et deux de ses trois enfants, nés de son mariage avec le comte James de Pourtalès, issu d’une autre illustre famille propriétaire du château de Bandeville, proche de Saint Cyr-sous-Dourdan, ont continué à faire vivre le musée en y ajoutant des documents sur Dorothée de Courlande, comtesse Edmond de Talleyand-Périgord et duchesse de Dino, puis sur le second mari de leur mère, Gaston Palewski, qui fut directeur de cabinet du général de Gaulle puis président du Conseil constitutionnel.
De son côté, Anna de Bagneux a aménagé un jardin littéraire, à l’arrière du château, pour rappeler aux visiteurs ce que fut le salon littéraire de Madame de La Briche. « J’affectionne tout particulièrement ce quinconce de tilleuls situé le long des douves et cette vue à la fois sur le château et le jardin à la française », s’émerveille-t-elle. Et pour renouer avec la tradition du salon, Anna de Bagneux organise chaque été des conférences dans le Grand Salon. L’occasion de découvrir la riche histoire de la terre du Marais et des personnages illustres qui l’ont fréquentée.
Le salon de Madame de La Briche
Fin mai, Adelaïde de La Briche prenait ses quartiers d’été au château du Marais jusqu’au début d’octobre. De 1784 à 1844, le Salon bleu fut le lieu de rendez-vous de l’élite culturelle parisienne. Le poète Jean-François de Saint-Lambert, le fabuliste Florian – pour qui le Marais était la Terre promise –, l’abbé Morellet, l’encyclopédiste Jean-François Marmontel, l’écrivain Jean-François de La Harpe et le poète Jacques Delille y séjournèrent régulièrement à la belle saison. Après la Révolution, Chateaubriand, Sainte-Beuve, Mérimée en devinrent des habitués. Avec sa fille Caroline, comtesse Molé, épouse du ministre qui servit successivement l’Empire, la Restauration puis la monarchie de Juillet, Adélaïde de La Briche organisait des représentations théâtrales auxquelles étaient conviés les gens du pays : c’étaient les « grands jours » du Marais.
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