À partir du milieu du XVIe siècle, on assiste dans la Drôme à la transformation des châteaux et maisons défensives en demeures d’agrément. Ce mouvement s’amplifie à partir de la période classique : on agrandit, on aménage, on démolit et reconstruit des manoirs, des fermes et autres bâtiments. Mais surtout, on décore les intérieurs avec des programmes qui sont l’accompagnement et le parachèvement de l’architecture.
À la fin de la Renaissance, un certain nombre de châteaux et maisons fortes connaissent des transformations radicales sous l’impulsion de leurs propriétaires, soucieux de rendre leurs bâtiments plus agréables à vivre. Il en est ainsi pour la maison forte du Poët-Celard, dans le canton de Bourdeaux, qui se mue en demeure de plaisance, tout en conservant son dispositif défensif.
L’originalité du lieu tient au fait que son propriétaire, Raymond de Blaïn, seigneur et chef de guerre protestant, un temps gouverneur de la ville de Montélimar, amateur d’art (il fait venir un graveur à Montélimar en 1590), entreprend de décorer la totalité de son château. Les salles, escaliers, paliers, galerie et plafonds reçoivent des peintures. L’iconographie est dans le goût de l’époque, avec médaillons carrés, ovales ou rectangles recevant des scènes inspirées d’estampes de Marcantonio Raimondi ou de Giangiacomo Caraglio (Les Amours des dieux), associés à un décor de fleurs, vasques rubans et fruits pour la salle au plafond peint. Une cheminée peinte orne la grande salle. Ses piédroits intérieurs et extérieurs, ainsi que ses jouées, sont décorés ; le devant met en scène un homme en tenue militaire « à la romaine » contemplant un paysage de ruines sous la devise tirée d’Horace « Impavidum ferient ruinae » qui fut celle de François des Adrets, capitaine catholique ou protestant selon « fortune de guerre ». On retrouve la même cheminée dans un hôtel particulier de Grignan, avec un décor d’inspiration moins guerrière, puisqu’une nymphe endormie décore le devant de cheminée.
Les deux escaliers et les paliers reçoivent des compositions toutes différentes. Une frise court sur le haut des murs en déclinant les heures de la journée avec une inscription en latin, les dessus-de-portes du palier sont ornés d’un cadre peint en trompe-l’œil représentant des personnages en bustes, l’escalier principal est décoré jusqu’en sa sous-face par une alternance de motifs floraux dans des cadres et médaillons et des médaillons figuratifs, peut-être des copies d’estampes. Raymond de Blaïn, qui meurt en 1598 au cours d’un duel, ne profitera pas de ce décor, mais le château reste dans sa descendance. En 1744, un nouveau programme iconographique vient se superposer aux décors du XVIe siècle. Il concerne également de nombreuses pièces de la maison. Les thèmes sont dans le goût du jour : décors de rocaille, trompe-l’œil d’architectures, soubassements à panneautages. La composition en est belle, mais l’exécution grossière. Comme pour les décors du XVIe siècle, on ignore le nom de l’artiste qui les réalisa.
Des décors inspirés par la Renaissance
D’autres châteaux, comme Grignan, La Garde-Adhémar et surtout Suze-la-Rousse, dont les décors sont toujours visibles, font l’objet de transformations à la même époque. Aux alentours des années 1550, l’évêque Rostaing de La Baume de Suze transforme la forteresse féodale en demeure de plaisance pour son neveu François. Ce dernier, amiral des mers du Levant et futur gouverneur de Provence, souhaite garder un caractère défensif au bâtiment. Tours et pont-levis sont conservés mais, à l’intérieur et à l’extérieur, le programme architectural est digne des résidences de la Renaissance italienne et française (cour, ordonnancement de façades, garenne, jardin…). Un jeu de paume est même créé dans le parc pour la venue du roi Charles IX et de sa mère, Catherine de Médicis, en 1564.
Malheureusement les seuls décors de cette période connus aujourd’hui sont ceux de l’ancienne salle d’armes, où deux peintures murales, de part et d’autre de la cheminée, illustrent des scènes de batailles et de siège. Elles représentent peut-être le siège de Montélimar, en 1587, où François de La Baume de Suze fut mortellement blessé. Lorsque cette salle fut transformée en salon, au XVIIIe siècle, un décor de gypseries, avec trumeaux et panneaux, fut mis en œuvre, mais les peintures du XVIe siècle furent conservées.
Au XVIIIe siècle toujours, une salle à manger est créée. Des gypseries de style rocaille l’habillent. Desserte, console et rafraîchissoir à décor de dauphins complètent le décor des trumeaux et panneaux. On retrouve sur ceux-ci la représentation des quatre saisons, accompagnée de guirlandes de fleurs, d’instruments de musique et de masques. Attribuées à l’architecte Jean-Baptiste Franque, ces gypseries font partie de modèles très en vogue à l’époque. Ces modèles sortent tout droit des recueils de Jean Le Pautre, ou de Jean Barbet, eux-mêmes héritiers de Serlio et d’Androuet du Cerceau, théoriciens et architectes du XVIe siècle qui influenceront l’architecture jusqu’au XVIIIe siècle.
L’art du gypse à la mode maniériste
Dans la région, l’art du gypse ne semble pas avoir eu de filiation avec les décors de stucs italiens du XVIe siècle. Le style maniériste des décors prend sa source dans un fonds commun de décors européens remis au goût du jour. Il est l’apanage d’une classe sociale aisée, qui s’affiche, se met en scène dans des allégories et dans des décors raffinés. L’artisan gipier répond donc à un programme iconographique puisé dans les recueils ou exécute des décors dessinés par un architecte ou un maître maçon. On retrouve de tels ornements tout au long des XVIIIe et XIXe siècles.
Dans la Drôme, quelques résidences en ont conservé de beaux exemples. Pour le XVIIIe siècle, les châteaux de Serre-de-Parc, à Savasse, et de Genas, à Cléon-d’Andran, montrent chacun à leur manière des exemples de ce savoir-faire. À Serre-de-Parc, nous sommes là encore sur un bâtiment transformé. Son propriétaire, Jean-Baptiste-Joseph Geoffre, fait état de son projet pour son château de Serre-de-Parc dans un carnet daté de 1770 : « un nouveau bâtiment que l’on adapte à celui qui est déjà existant ». Ce bâtiment, d’inspiration palladienne, est installé dans des jardins. Les intérieurs sont décorés de gypseries, de boiseries et de cheminées.
La galerie, pièce la plus ornementée de la maison, est constituée d’une succession de panneaux de style rocaille sur lesquels sont dessinés des trophées représentant les signes du zodiaques et les mois de l’année, tandis que chaque dessus-de-porte est une représentation des allégories des arts et des sciences, utilisant ou adaptant les cartons des recueils déjà cités. Dans le grand salon, le décor des panneaux reprend le thème des quatre saisons, comme à Suze-la-Rousse.
On pourrait comparer Serre-de-Parc avec le château du Double, à Lens-Lestang, dont l’ensemble des pièces du rez-de-chaussée fut décoré à la fin du XVIIe ou au début du XVIIIe siècle. On retrouve là aussi les panneaux à allégories, les trophées, les moulures rocailles, les trumeaux et les dessus de cheminée.
À Genas, ferme transformée en résidence d’agrément à la fin du XVIIe siècle par la famille de Genas, les pièces donnant sur le jardin, à l’est, sont toutes ornées d’éléments de gypse (corniches filantes à consoles, à feuillage d’acanthes ou à billettes, dessus de cheminée mouluré, à panneaux et frontons) de facture très simple, mais différents pour chacune d’elles. Le décor de la chambre du pavillon nord retient particulièrement l’attention. Une large corniche aux modillons sculptés court le long des murs, une voûte plate est redoublée par un plafond dont les angles sont marqués par des aigles. Il s’agit peut-être de la « salle dont le plafond est à l’impériale avec une corniche bien proportionnée », mentionnée dans le testament de René de Genas en 1739. Il est étonnant de voir que pour ces deux demeures, les décors de gypse ne sont pas associés à des peintures, celles-ci n’étant peut-être pas parvenues jusqu’à nous.
Retour à l’antique
Après la Révolution, à l’époque du Directoire et de l’Empire, l’iconographie change. Les allégories guerrières, les angelots, les motifs rocaille tendent à disparaître. La mode est au retour à l’antique. Les trumeaux ont une forme de stèle, comme des bas-reliefs, les thèmes des scènes représentés s’inscrivant d’ailleurs dans ce programme.
Un exemple de ce type de décor se trouve au château de La Gardette, à Loriol, devenu propriété de la famille d’Arbalestrier au XVIe siècle. Ici encore, il s’agit d’une maison forte devenue maison de plaisance à la fin du XVIIe siècle, mais dont, comme à Suze-la-Rousse, les tours ont été conservées. Dans la salle à manger Directoire, le décor n’occupe pas l’ensemble de la pièce. Il se cantonne aux dessus-de-porte, à la cheminée et au rafraîchissoir. Les dessus-de-porte, en forme de tablette rectangulaire, ont un encadrement mouluré avec rosaces. Des muses personnifiant l’architecture, la sculpture, la peinture, la danse et la musique, ou des scènes champêtres, y sont représentées. Le fait que, comme ici, aucune peinture n’accompagne ces ornements n’est pas rare. On constate bien souvent, en étudiant les demeures de la région, que le choix du décor se faisait entre peintures et gypseries, sauf lorsque l’on observe la présence de trumeaux de porte à toiles peintes marouflées.
Parmi celles qui ont été répertoriées, on trouve pour les périodes XVIIe et XVIIIe siècles, des décors assez originaux, comme ceux du château du Mouchet, à Chavannes. Bien qu’ils aient été fortement rafraîchis dans les années 1940, une pièce, située au premier étage du corps principal, semble n’avoir pas fait l’objet de modifications. Voûtée en berceau, elle comporte un plafond peint en grisaille pour les rinceaux et grotesques, agrémenté d’amours présentant des médaillons où l’on reconnaît notamment Jupiter et Diane. Les murs sont composés de panneaux illustrés de sphinges et de sirènes. Les autres décors ayant été très retouchés (salle à manger, escalier…), il est difficile aujourd’hui de discerner l’original du reste, d’autant que l’avant-dernier propriétaire avait demandé à des artistes, dans les années 1950, de créer de nouveaux décors, pastichant pour certains les originaux.
Tableaux de chasse
Avec le domaine de l’Yzeau, à Alixan, nous sommes là encore en présence d’un bâtiment plus ancien, réaménagé à la fin du XVIIe ou au début du XVIIIe siècle, et installé dans un jardin écrin. Les décors intérieurs datent du XIXe siècle, mais, sous les repeints du vestibule, qui donne entre cour et jardin, un ensemble de quatre peintures inscrites dans des panneaux et représentant les différentes manières de chasser dans le monde du XVIIIe siècle a été mis au jour. Un des panneaux montre une chasse au cerf par un équipage vêtu à la mode du temps de Louis XIV. Sur une autre, qui représente une chasse à l’ours à l’épieu, les personnages sont vêtus à la « russe ». Les deux autres scènes figurent une chasse au lion dans le désert (un serpent est présent dans le sable et les rochers) et une chasse à l’autruche. Dans les derniers tableaux, les personnages sont vêtus à l’orientale comme on se l’imaginait au XVIIIe siècle. De part et d’autres des portes-fenêtres sont peints des paysages avec des châteaux ou des rochers, à la manière de Jean-Baptiste Pillement (1728-1808), l’ornemaniste et paysagiste lyonnais.
Dans le domaine de la peinture, la période postérieure à la Révolution est marquée, comme dans le cas des gypseries, par la mode du retour à l’antique, dont des dessinateurs de ruines comme Piranèse et Hubert Robert furent les précurseurs. Le château du Haut-Livron livre à cet égard un ensemble de décors peints très intéressant. L’histoire du bâtiment n’est pas documentée, hormis un tableau de 1847 qui le représente dans sa forme actuelle. La maison a l’allure d’une belle bâtisse cossue du XIXe siècle, dépourvue d’éléments ostentatoires. Mais la décoration intérieure des pièces du rez-de-chaussée se révèle des plus intéressantes. Quatre salles voûtées, en enfilade, sont entièrement décorées dans le style néoclassique.
Sur le plafond de la salle à manger, des jeunes femmes vêtues à l’antique dansent dans une guirlande grappes de raisins. Quatre autres danseuses sont dessinées dans les écoinçons de la voûte. Un rafraîchissoir est installé dans une niche avec un coquillage en trompe-l’œil. Les dessus-de-porte sont rehaussés de corbeilles de fruits. La salle de jeux possède un décor néo-pompéien, avec griffons et sphinges sur la voûte. Les murs sont revêtus de panneaux à encadrements de grecques. Peinte en grisaille, la pièce suivante est également de style antiquisant. Son plafond en berceau reçoit un décor de faux caissons à rosaces. Des panneaux décorés de scènes historiées de la mythologie, de vases et de chandeliers complètent l’ensemble. Voûté d’arêtes, le salon Empire est décoré de tentures, de colonnettes et de guirlandes de fleurs en trompe-l’œil. Une grande corbeille de fleurs est dessinée sur le devant de cheminée, encadrée par deux petits singes espiègles. Nombre de thèmes présents au château du Haut-Livron se retrouvent dans les gypseries de La Gardette, datant de la même époque.
Cet état des lieux de quelques demeures de plaisance de la Drôme n’est pas exhaustif. Celles que l’on évoque ici sont représentatives d’un nouvel art de vivre qui n’avait rien à envier aux provinces plus proche de la Cour et de Paris. Les artistes, anonymes dans la plupart des cas, étaient au fait de la nouveauté, même si, dans leur exécution, ils font parfois preuve de maladresse. Beaucoup de lieux restant encore à découvrir et à étudier, ce panorama souffre certainement de lacunes, et il n’est pas exclu que d’autres demeures du département nous réservent encore bien des surprises.
Précieuses chinoiseries : Le salon de Die
Dans l’ancien hôtel de Lagier de Vaugelas, aujourd’hui cure de la paroisse de Die, se trouve un étonnant cabinet au décor peint sur enduit et boiseries, dit « salon chinois ».
La pièce, sur plan carré et voûtes d’arêtes, se trouve au rez-de-chaussée de la demeure et s’ouvrait autrefois sur des jardins à l’est et à l’ouest. Une cheminée orne le mur nord et une bibliothèque est installée sur le mur sud. Le décor en camaïeu bleu sur fond ocre jaune clair recouvre l’ensemble du lieu, voûtes comprises. L’iconographie s’organise sur chacun des murs selon un même principe : un registre principal avec les « chinoiseries », huit personnages, hommes et femmes vêtus à la mode chinoise tel que l’on pouvait se l’imaginer à cet époque grâce aux descriptions et récits des pères jésuites, chaque personnage dans un cadre rocaille. Sur les parties hautes des murs (écoinçons et trumeaux), des paysages (marines, scènes de port, de chasse et maisons fortes…). Sur les panneaux intermédiaires, des guirlandes de fleurs et des pilastres en trompe-l’œil. Les soubassements à panneautages et décors de croisillons imitent des carreaux de Delft. Les plinthes sont peintes en bleu. Les voûtains sont ornés d’amours ailés, évoquant les saisons, chaque arête étant soulignée par une guirlande de fleurs.
L’ensemble, daté de 1767, est signé par Louis Farjon. Né à Crest en 1710, dans une famille de drapiers, il se marie à Die en 1750 avec la fille du chirurgien-apothicaire de la ville. On connait trois décors peints réalisés dans le Diois par Farjon, tous pour des gens de robe. Peintre de formation classique, il réalise entre 1759 et 1777, date à laquelle on perd sa trace pour l’instant, un certain nombre de tableaux essentiellement religieux. À ce jour, grâce aux recherches menées par Catherine Claudon-Adhémar et l’Association des amis de Farjon, qui ont redécouvert ce peintre et son parcours, treize décors et tableaux datés et signés lui sont attribués.
Concernant le décor du salon chinois, les sources de Farjon sont facilement identifiables. Le peintre se conforme ici à une mode qui se développe au XVIIIe siècle en Europe, à la faveur d’une certaine lassitude pour les décors classiques. Ses modèles sont à chercher dans les recueils des pères jésuites, largement repris par les ornemanistes et paysagistes du moment, tel le Lyonnais Jean Pillement, mais probablement aussi l’art de la faïence, avec ce camaïeu bleu et ces décors « au chinois », typique des faïences de Moustiers, de La Tronche et de Lyon, reprenant elles-mêmes les décors des porcelaines chinoises.
À Die : Un plafond extraordinaire
La maison Faure de Vercors, à Die, dont les structures appartiennent pour l’essentiel à la fin du Moyen Âge, a conservé un plafond peint daté du XVe siècle, qui se trouve dans l’allée d’entrée de la maison. Il est agencé à la française. Trois poutres maîtresses supportent cinq solives, qui reçoivent un ensemble de voliges en planches dessinant ainsi un quadrillage de 48 panneaux ou closoirs, dont 24 portent un décor historié. Les travées qui correspondent aux panneaux gris sont bordées de rouge, et inversement pour les rouges. Il reste très peu de traces de polychromie sur le fond du plafond, mais quelques fragments de couleurs donnent un fond gris pour un panneau rouge, et un fond rouge pour un panneau gris.
Le décor présente un double programme, alternant des écus armoriés sur fond rouge et des scènes sur fond gris-bleu. Celles-ci se répartissent en thème et par travée : la chasse (à l’ours, au cerf, à cheval) ; la danse ; le tournoi (des chevaliers en armure s’affrontant à pied ou à cheval) ; des combats d’animaux (on identifie notamment un rat sur un léopard (?) affrontant un coq sur un renard, ainsi qu’un dragon joutant avec un éléphant qui porte une tour). Les écus n’ont pas été identifiés formellement, à l’exception de celui de la famille Faure de Vercors, propriétaire de la maison et commanditaire de ce décor, dont l’auteur n’est pas connu. Il aurait été exécuté en 1453 pour un double mariage dans la famille. Il a été nettoyé et consolidé en 2009 par Vincent Ollier, de l’Atelier de la Renaissance.
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